L’Inconnue de Birobidjan
dais blanc.
Le rabbin alla se placer dessous, prononça quelques paroles en hébreu et invita Apron, à présent vêtu dâun manteau noir, comme les autres, à le rejoindre. Les femmes poussèrent alors Marina jusquâaux piliers. Michael tira un voile transparent de son manteau et en recouvrit la tête de Marina. Il lui saisit la main, lâattira sous le dais.
Tout autour dâeux monta le chant des prières. Les yeux embués de larmes, la gorge nouée, Marina parvenait à peine à distinguer le visage de son bien-aimé. Michael lâentraîna dans une sorte de ronde autour du rabbin. Les voix les enveloppèrent dâun mur tendre et chaleureux.
Puis le rabbin lança quelques mots dâune voix forte. Apron retint Marina. à son tour, en yiddish, il lança : « Si je tâoublie, Jérusalem, que ma droite mâoublie, que ma langue se colle à mon palais si je ne me rappelle pas ton souvenir, si je ne tâélève pas au-dessus de ma joie.  »
Marina vit un verre apparaître dans la main de Michael. Il le jeta par-dessus son épaule. Le verre rebondit sur le plancher, il lây écrasa dâun coup de talon. Des cris de joie emplirent la petite synagogue. Ils étaient mari et femme.
Michael lui ôta son voile, lâembrassa. On leur offrit des vÅux de bonheur. Les femmes serrèrent Marina contre leur poitrine en murmurant :
â Tu es belle, tu es jeune, ton époux possède le zibetn kheyn , « le septième charme », vos enfants naîtront pour connaître des jours meilleurs. La vie te sera un soleil !
Un homme ramassa les débris du verre brisé par Apron et les déposa soigneusement dans une boîte ovale en bois de bouleau quâil remit aux nouveaux époux. Le rabbin confia à chacun une étroite bande de papier à peine plus long que la main. Dâune calligraphie fine et régulière, elle portait en yiddish leurs deux noms et certifiait que le 8 Tishri de lâan 5704 depuis la naissance du monde, Michael Apron et Marina Andreïeva Gousseïev sâétaient pris pour mari et femme devant lâÃternel.
Les femmes servirent des verres de vin, des biscuits azymes au sésame puis, avec une hâte mesurée, des hommes dénouèrent le dais nuptial et ôtèrent les piliers des orifices du plancher dans lesquels ils étaient enfoncés. Dâautres ramassèrent le candélabre et le rouleau de la Torah sur lâautel et les enfermèrent, avec les quelques livres de la bibliothèque, dans des sacs de tissu quâils portèrent jusquâaux charrettes. En un clin dâÅil lâintérieur de lâisba fut vide et sans plus dâautres traces dâavoir été une synagogue que quatre trous dans le plancher.
Puis les hommes en longs manteaux saisirent les rênes de leurs mules, les femmes en foulards colorés sâinstallèrent sur les bancs des charrettes. Alors que les attelages sâéloignaient, elles levèrent la main en signe dâadieu. Ãberluée, comme saoule dâune émotion trop vaste pour elle, Marina leur répondit jusquâà ce quâApron la presse de monter dans la camionnette :
â Nous aussi, nous devons partir. Il vaut mieux que personne ne nous voie ici. Ces braves gens auraient des ennuis. Nâoublie pas que les synagogues et les rabbins nâexistent pas, dans lâoblast de Birobidjan.
Il la prit par la taille, lâembrassa doucement.
â Mais ne crains rien. Ce nâétait pas un rêve. Tu es mon épouse bien-aimée !
Quand la ZIS reprit la piste, Marina tenait serrée, soigneusement repliée contre sa paume, la bande de papier où son nom sâalliait pour toujours à celui de lâhomme quâelleaimait. Un instant, elle hésita. Devait-elle révéler la vérité à Apron ? Quâil avait épousé une fausse juive et que le rituel qui venait dâavoir lieu nâétait quâune illusion, peut-être même un mensonge ?
Mais était-ce cela, la vérité ? La vraie vérité ?
Nâétait-elle pas, depuis des mois, en train de devenir juive ? Aussi juive que Beilke, Grand-maman Lipa, les femmes de la datcha commune ou de la troupe du GOSET ?
« Si tu le veux, tu deviendras juive⦠ce sera un effort de rien du
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