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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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vassaux et les gentilshommes titrés, des dents grinçaient, mais, pour rien au monde, on aurait manqué ces événements qui s’annonçaient et se discutaient de longue date.
    Les préparatifs, qui troublaient ma récitation en latin de messe, se déroulaient au début de l’automne 1680. J’en parlerai plus que d’autres pour comprendre ce que fut mon âge d’or. Et pour dire aussi les cruelles raisons qui y mirent fin, puisque l’hydre de l’intolérance s’y invita.
    Le temps était si clément qu’il fut décidé de se réunir dans la cour d’honneur de notre manoir. On y accédait par un joli pont de pierre qui enjambait les douves emplies de carpes si anciennes qu’elles se racontaient encore, fabulait-on, le passage de Richelieu lorsqu’il avait inspecté notre région. On croyait se souvenir de sa venue à Saint Albert en 1626 accompagné de son beau-frère, le maréchal Urbain de Maillé-Brézé, gouverneur de Saumur, et de son frère cadet Henri du Plessis, possesseur pour partie du greffe civil et criminel de la sénéchaussée de Saumur. Que venaient-ils y faire ? Les esprits s’enflammaient en y pensant. On aurait déposé à Saint Albert une portion du trésor de guerre du cardinal. S’agissait-il des trois cent mille livres cachées dans le château de Saumur et dont Richelieu faisait état dans son testament, somme qui avait été finalement léguée à son neveu Armand-Jean de Maillé-Brézé pour l’acquisition de terres nobles ? Peu importe, seule la rumeur comptait. On en vint à imaginer, selon une autre version, que Saint Albert avait peut-être séduit ces seigneurs désireux de s’agrandir, tant les lieux étaient plaisants 9 . Au final, la légende ajouta au prestige de notre manoir qui, nourri par ces historiettes, se présentait alors au visiteur dès qu’il avait franchi le pont.
    Deux tours rondes défendaient fièrement l’entrée. Celle de droite accueillait la petite chapelle de Saint Albert. Amédée, le feutier maladroit, veillait sur les lieux, partagé entre la crainte de Dieu et une sainte dévotion pour Marie dont une statue en bois peint trônait au cœur de l’offertoire. Nous venions y entendre la messe de notre vieux curé Passementier qui, refusant le confort du manoir, vivait au plus proche des fidèles. Il bénissait, confessait, donnait les sacrements et parcourait pour cela Saint Albert, un bâton de prêcheur à la main, confiant à Amédée la garde de la chapelle qui, à la demande de mon père, restait ouverte à tous. Le dimanche, on s’y pressait pour entendre un sermon joyeux. Pour le plus grand bonheur de Berthe, le curé soupait alors au manoir. La conversation était libre. Cet homme d’église, qui n’invoquait pas la colère de Dieu pour nous obliger à suivre ses préceptes, entendait son ministère en accord avec mon père. Ici, la tolérance avait séduit le Saint-Esprit.
    La tour de gauche abritait un pigeonnier, symbole de la tendresse et de la richesse du domaine. Les deux tours se prolongeaient par deux ailes parfaitement équilibrées. Au fond, le corps principal, là où se trouvaient nos appartements, s’élevait sur un étage. Les toits abritaient de vastes greniers, territoire des vestiges familiaux gardés par une dame blanche solitaire dont chaque hululement se voulait, chez nous, comme un signe de chance. La bibliothèque avait été installée dans l’aile droite du manoir. La salle d’armes lui faisait pendant, de l’autre côté. L’ensemble était équilibré, harmonieux. De larges et hautes ouvertures, comme il s’en construisait depuis la Renaissance, invitaient le soleil à entrer. Et, en ce jour de septembre, ses rayons chauffaient, depuis le matin, les tommettes rouges et lustrées du rez-de-chaussée.
    De la bibliothèque où j’étais enfermée avec mon surveillant austère, j’entendais le joyeux charivari qui annonçait la fête. Berthe, la cuisinière, houspillait les servantes venues lui prêter main-forte. À chaque instant, un nouveau visiteur se présentait. L’un d’eux apportait du gibier déposé en rangs serrés à l’entrée du manoir ; un autre entraînait son faucon à de belles figures. Ce soir, le spectacle serait beau. Un commerçant et sa charrette chargée d’étoffes soyeuses entraient dans la cour. Les femmes profiteraient de l’occasion pour quémander quelques livres à leurs seigneurs. Mais notre Berthe se moquait de la coquetterie. Elle maudissait le marchand qui, en

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