L'Insoumise du Roi-Soleil
les bibles de ces excommuniés, et même l’obligation de déterrer leurs morts ! Heureusement Henri IV garda le cap qui le conduisit à Nantes où, en ce mois d’avril 1598, il signa le fameux édit. On crut à la liberté de conscience, mais c’était une chimère : la R.P.R., Religion Prétendument Réformée, se voyait reconnue, mais son champ toujours limité. On forma des cours de justice paritaires dont les magistrats étaient pour moitié catholiques et pour l’autre protestants. Le reste fut plus incertain. Certes, les places fortes tenues par les protestants restèrent sous leur contrôle, mais cette faveur n’était qu’une promesse à l’avenir fragile. En retour, l’assemblée des protestants fut dissoute et la religion catholique, plus ancienne, resta celle du royaume. Elle était la religion du roi. Elle devait revenir là où elle avait été chassée. Au final, le vainqueur sembla être le roi qui, par l’édit de Nantes, se plaçait au-dessus de toutes les religions.
Ainsi raconté, tout serait écrit ? On continue encore à le croire. Mais je sais que non. Car ce fameux édit contient toujours un double mystère. D’abord, on le date sans savoir exactement quel jour d’avril il fut signé. Pardi ! Il suffit de le consulter. Mais voici l’incroyable : le document original a disparu 10 . Il ne reste que des copies sur lesquelles toutes sortes d’abrégés ou de modifications ont pu être apportés au gré des intérêts des uns et des autres. Tardivement et difficilement enregistré par les Parlements du Royaume de France, discuté et remanié dans ses moindres codicilles, alourdi par des annexes nuancées et subtiles, on accoucha de tout sauf d’un acte simple. Alors que l’on réclamait un texte court et clair, il fut proposé une somme savante et peu déchiffrable par le commun des mortels. Il n’en fallait pas plus pour exciter l’humeur de ses détracteurs. Et les plus acquis à ses principes finirent même par douter du véritable dessein de l’édit de Nantes. Était-ce un simple accord de paix conclu entre deux factions ennemies ou l’engagement solennel du roi de tous les Français pour que s’épanouisse – à égalité – la foi de tous ses sujets ? Dès lors, le sens de l’édit varia selon l’influence que chacun crut pouvoir exercer sur le cours de l’Histoire. Or il n’y a rien de pire, pour un acte solennel, que de prêter le flanc à diverses interprétations. L’édit de Nantes, selon les vœux d’Henri IV, était-il une loi instaurant la tolérance ou fallait-il entendre le verbe tolérer dans sa définition la plus réduite ? Devait-on accueillir à bras ouverts l’opinion des autres ou l’admettre à contrecœur, avec plus ou moins de patience, en la supportant sans jamais l’admettre ? Au fond, comment devait-on apprécier la juste vocation de la tolérance ? On avait peine à croire que de si nobles intentions n’aient pas été mieux formulées. Un projet de réconciliation aussi ambitieux ne pouvait-il pas donner lieu à d’utiles éclaircissements ? Louis XIV, héritier et dépositaire des décisions et des choix de son grand-père, disposait peut-être de la réponse. À défaut d’un testament écrit, il restait l’hypothèse d’une confession orale expliquant la volonté d’Henri IV, et faite au fidèle Richelieu. Ces paroles royales avaient-elles par la suite été transmises à Mazarin qui, avant de mourir, les avait confiées à Louis XIV ? Bien qu’ignorant si d’autres choses encore existaient ou restaient cachées, il était séduisant d’imaginer qu’un mystère entourait l’édit de Nantes. Un serment royal, énigmatique et labyrinthique, comme c’est le cas pour un secret d’État ? Mais l’affaire de l’édit de Nantes n’en est-il pas un ? Pour l’heure, n’anticipons pas.
À peine signé, cet arrangement fragile, dont on pouvait contester la sincérité, apparut donc imparfait. À vouloir plaire à tous, il ne satisfaisait personne, ne résolvait pas le problème du pouvoir et n’installait une trêve que pour un temps. Déjà les esprits s’échauffaient. Le pape parla de crucifixion, les magistrats et les conseillers de Paris refusèrent de partager leurs meilleures places avec ces gens de la Religion Prétendument Réformée. L’argent et le pouvoir, je ne varierai pas d’un trait, étaient plus forts que les belles paroles du roi Henri IV qui affirmait aimer la religion catholique et s’en sentir
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