L'Insoumise du Roi-Soleil
reculant, écrasait les légumes que de petits mirlitons venaient de déposer à terre. Plus loin, des artisans – tisserand, forgeron, sabotier, menuisier –, installaient leurs étals, se poussant du coude et s’injuriant pour saisir les meilleures places. Un cheval prit peur. Il rua. Sa carriole bascula et son chargement fit de même. Un tonneau de vin éclata. Les hommes se précipitèrent pour le sauvetage et, en récompense, burent le nectar qui s’échappait encore. Pour la pauvre Berthe, rien n’allait plus. Le comte de Saint Albert sortit alors rétablir l’ordre à grands coups de phrases chaleureuses. On plaisanta encore. La fête serait merveilleuse. Mais il restait à installer les lampions pour éclairer la nuit et le spectacle de la troupe de théâtre qui nous promettait un divertissement italien. Vite ! Vite ! L’heure tournait. Bientôt, les premiers invités se présenteraient.
— Il serait cruel de vous garder plus longtemps.
Monsieur Blois me rendit enfin ma liberté. L’instant d’après, je courais dans ma chambre. Se coiffer, se chausser, mettre en place cette belle robe de soie, tout en pensant à ceux que je retrouverais. Mon cousin Antoine de Beaupont avait-il grandi en taille et en élégance ? Serait-il assez courageux pour m’inviter à danser ? Vite ! Mais ne disait-on pas que son cœur se tournait vers cette détestable Marie-Ange de Saint Rivain, petite boulotte aux joues rouges. Moi-même, n’étais-je pas écarlate ? Souffler, oui. Pour apparaître détachée. Et digne d’une Montbellay...
Tant d’émotions et tant d’inquiétudes infantiles ! Pour finir qu’advint-il ? Un souvenir domine. Le terrible échange qui brisa la fête. La preuve que mon père avait raison de craindre l’esprit d’intolérance.
Ce fléau avait transpercé le royaume au temps des guerres de religion. Dans chaque clan on comptait ses morts. L’édit de Nantes, voulu par le roi Henri IV le 13 avril 1598, avait mis fin, en principe, à cette tragédie fratricide. Pour vivre en harmonie, pour se supporter, on avança qu’il fallait octroyer à tous les mêmes droits. Mais certains ne l’acceptaient toujours pas !
Les protestants demandaient à pratiquer librement leur religion, c’est-à-dire au même titre qu’un autre sujet. Mais derrière ce vœu, se cachaient d’autres enjeux. Il s’agissait de pouvoir et d’argent. En mettant sur un pied d’égalité les catholiques et les protestants, on reconnaissait de fait que les uns ou les autres avaient le même droit à gouverner. Pour briser ce savant équilibre proclamant qu’il ne devait y avoir ni gagnant ni perdant, il suffisait d’ajouter une phrase : selon ce même principe d’égalité, était-il possible qu’un protestant obéisse à un catholique ? Derrière cette question au départ religieuse nichaient des querelles plus temporelles. L’impôt, par exemple, un sujet lié justement au pouvoir et à l’argent. Un protestant le devait-il à un roi catholique ? En fissurant l’unité religieuse, on cherchait à remettre en cause l’autorité même du prince.
Le sud-ouest du royaume s’était révolté contre l’impôt et il avait fallu toute la force et la détermination du roi Henri IV pour rétablir la paix. Le 25 juillet 1593, il avait abjuré sa foi protestante dans la basilique de Saint-Denis et était entré dans ce Paris qui valait bien une messe... Ensuite, beaucoup de catholiques s’étaient ralliés à sa cause, mais il restait à affronter les intransigeants et à convaincre les protestants. À combien d’attentats échappa-t-il avant de succomber sous le glaive de Ravaillac ? En 1594, pas moins de six meurtriers, qui préparaient un crime, furent arrêtés. La haine ne faiblissait pas. En Navarre où régnait sa mère, Jeanne d’Albret, et dans les Provinces-Unies du Midi, les protestants dominaient et voulaient continuer de gouverner les villes fortifiées qu’ils contrôlaient. C’était déjà – et toujours – une affaire d’argent et de pouvoir. Henri IV promit que rien ne changerait. Il se voulait conciliant et rassembleur. Il était le roi de tous ses sujets. Mais pouvait-il accéder à toutes les demandes des protestants ? Commander, juger à part égale, oui. Mais accorder aux calvinistes le droit de divorcer ! Impossible. Il fallait donc mettre fin à cette nouvelle Babylone, hurlait de son côté Florimond de Remond, membre du parlement de Bordeaux, avant de réclamer le bûcher pour
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