L'Insoumise du Roi-Soleil
plus proche que ceux qui prétendaient la défendre. Il se présenta comme le fils aîné de l’Église. Il en devint le martyr en mourant pour elle, assassiné à Paris par Ravaillac, un catholique fanatique, le 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie.
Le rétablissement du catholicisme dans les régions où le protestantisme s’était invité ne se fit point sans douleur et sans drame. Malgré le travail des commissaires exécuteurs de l’édit de Nantes, les querelles ne cessèrent pas. Et Saumur ne fut pas épargné. Pourtant, la ville voisine de Saint Albert avait prouvé son unité religieuse lors de la Fronde, l’autre déchirement de ce siècle. Si la révolte des grands vassaux toucha notre région autant qu’une autre, nous ne connûmes que peu de drames grâce au front uni des protestants et des catholiques. Très vite, un accord fut trouvé entre le roi et Saumur. Louis XIV encore enfant, sa mère et la cour entrèrent dans la ville le 5 février 1652 par le Portail de Louis. Ils séjournèrent cinq semaines dans la Maison du Roi et apprécièrent l’obéissance des sujets. Cette fidélité sans faille, à l’opposé de la ville d’Angers qui paya considérablement sa révolte, fut largement rétribuée. Le roi accorda à Saumur le droit d’organiser trois foires chaque année et de gouverner par le biais d’un Conseil choisi parmi ses habitants. Les protestants, des monarchistes loyaux pendant la Fronde, ne furent pas oubliés. Mazarin confirma l’édit de Nantes. Mais ce n’était qu’un répit. Au fond, la guerre de religion ne s’était jamais éteinte.
En 1669, Jacques Pelletier, un orfèvre reconnu pour la qualité de son travail, fut interdit de siéger au Conseil de ville au seul fait qu’il était membre de la Religion Prétendument Réformée. Charles Dugeon, Sieur des Portes et protestant, subit les mêmes mesures. De brimades en menaces, le ton monta. Le sieur Voisin de la Noiraye, intendant rigoriste de Tours, engagea une procédure pour défendre à tous les protestants de siéger dans les collèges et académies de la région. La guerre fut déclarée, la pratique de la R.P.R. mise au banc des accusés.
À Saint Albert, nous n’avions pas choisi de camp. Les Montbellay étaient peut-être catholiques, mais ils comptaient autant d’amis chez les protestants. « Dieu est unique, affirmait mon père. Au nom de quoi, Il ne peut en rien nous diviser. » Beau programme et belles idées, fidèles à son principe de tolérance... Mais cette nuit de septembre 1680, le comte de Montbellay mesura les limites de cette utopie.
Je me trouvais encore dans ma chambre, ajustant les derniers détails de ma tenue, quand les premiers cris retentirent.
— Chiens d’hérétiques, vous êtes pires que des Maures ! Votre procès est clos. Vous méritez le bûcher et souffrirez avant de connaître l’enfer ! Les flammes, oui ! Je vous veux sur un fagot. Je vous veux en cendres !
En me penchant à la fenêtre, je reconnus le comte de Mortureaux, un membre du Conseil de la ville de Saumur connu pour la rage frénétique qu’il réservait aux protestants.
— Nous demandons le droit d’être fidèles à notre religion, répondit sur un ton doux Jacques Pelletier, l’orfèvre de Saumur chassé du Conseil.
— Ne demandez rien ! Vous n’en avez pas le droit, rétorqua Mortureaux, le visage figé de haine.
— Être votre égal, vivre en sécurité... Est-ce trop souhaiter ?
— Vous n’avez ni le titre ni le rang pour m’égaler ! s’emporta plus encore l’autre. Vous puez de suffisance. Et si vous n’étiez pas de condition inférieure, je vous demanderais raison.
— Votre nom, votre rang, vos manières dépassées finissent là où, pour moi, tout commence, rebondit Pelletier, la voix attisée par l’agression. Vous transpirez de peur et de haine. À votre tour d’apprendre que vous puez le moisi. Vous voulez ma mort ? Mais vous, vous l’êtes déjà !
Empourpré, au bord de l’apoplexie, le comte de Mortureaux saisit son épée. Pelletier, désarmé, fit un pas en arrière. Mon père se jeta alors entre les deux hommes.
— Messieurs ! Rien ici ! Le sang ne coulera pas à Saint Albert, tempêta-t-il comme jamais.
— Écartez-vous, Montbellay, rugit Mortureaux.
— Je suis le maître des lieux. J’y juge selon mes lois. J’ai hérité de ce privilège et il remonte à la nuit des temps, car notre famille a toujours fidèlement servi le roi et la couronne de France.
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