L'Insoumise du Roi-Soleil
emprunter un, j’en ferais, je vous l’assure, un excellent usage.
Enfin, vers François :
— Beltavolo, le fils disparu du chevalier de Saint Val. Savez-vous qu’on vous cherche ?
— Je devine pourquoi, répliqua furieusement François.
La Reynie s’avança, les mains dans le dos, jusqu’à le toucher. Malgré leur différence de taille, le policier s’imposait. François recula comme s’il redoutait cet affront :
— Vous rêvez d’embastiller tous les poètes de Paris, cingla-t-il sur un ton sans rapport avec l’allure de celui qui lui faisait face, sûr de lui et d’un calme redoutable.
Un silence suivit. Le lieutenant ne broncha pas, déchaînant brutalement Beltavolo :
— Prenez garde, monsieur le policier ! Pour un artiste que vous muselez, dix renaissent. Vos méthodes n’y pourront rien. La liberté ne se capture pas !
La Reynie l’observa encore. Puis il secoua la tête :
— Allons, calmez-vous monsieur de Saint Val. Vous finiriez par laisser entendre à cette noble compagnie que nous sommes ennemis. Mais nous nous connaissons à peine.
François devint blanc et recula encore en se tenant le cœur :
— Pourtant, gémit-il...
Le policier leva une main pour qu’il se taise :
— Vos pamphlets et vos bouffonneries à propos de la cour ? Rassurez-vous, ils déplaisent moins que vous ne le pensez. Ma foi, si je préfère Racine ou Corneille, il m’arrive, tant que vous ne touchez pas au roi, de sourire à certains de vos couplets.
— Vous savez qu’il ne s’agit pas de cela, murmura François.
— Ah oui, soupira exagérément le policier. Ce n’est pas à cause de Beltavolo que vous vous inquiétez, mais pour le fils du chevalier de Saint Val, terrifié par l’idée qu’affectionne son père de le faire rentrer dans les rangs.
Le visage de François exprimait les pires tourments. Ainsi, nous touchions à son drame, à ce qui le rongeait et dont il n’avait jamais voulu me parler.
— Parlez ! monsieur, criai-je à La Reynie. Que veut-on à François de Saint Val ? Qui le menace ? hurlai-je en me rangeant aux côtés de celui que j’aimais.
— Ne répondez pas, La Reynie, souffla François d’une voix terriblement sombre.
— Cette nuit, c’est moi qui décide ce qu’il faut dire ou taire ! jeta-t-il en retour.
Puis, retrouvant aussitôt son calme, il nous regarda l’un et l’autre et je crus apercevoir dans son œil comme un air amusé, sans rapport avec le ton de cet échange.
— Que redoutez-vous, monsieur de Saint Val, fit-il d’une voix narquoise, à part d’entendre dire que votre père se conduit avec vous comme sur un champ de guerre, qu’il réclame une reddition sans condition et s’entête auprès du roi qui me reproche ma négligence à vous arrêter ?
— Vous êtes pourchassé, murmurai-je à François.
Il ne répondit pas. Mais La Reynie le fit pour lui :
— En effet. Avec ordre de l’embastiller. Et peut-on désobéir à un lieutenant général des Armées navales de Sa Majesté ? Je vous questionne, mademoiselle...
— À Paris, c’est vous le lieutenant, complimentai-je dans l’espoir de l’amadouer. C’est donc à vous de décider.
— Et les esprits libres s’en plaignent assez, ajouta François avec arrogance.
Quelle maladresse ! pensai-je. La Reynie, lui, pinça la bouche et l’on aurait pu croire à une sorte de sourire.
— Vous me trouvez ferme, intraitable, dur ? Je prends ces traits pour un compliment.
Il me jeta un coup d’œil en coin et revint aussitôt sur François :
— Mais doit-on céder aux caprices d’un seigneur de la guerre ? Hélène de Montbellay est bonne avocate et elle n’a pas tort. Ici, c’est mon domaine et j’y fais la loi. Aussi, je décide que je ne vous ai pas vu. Beltavolo ? Je ne connais pas. Voilà en somme une nuit blanche, sans trace, ni poursuite.
— Demain, vous saurez où me trouver !
— Je n’ai qu’une parole, s’énerva-t-il. Profitez-en, Beltavolo. Tout est oublié.
— Quel est le prix à payer ? railla encore François.
— Vous ne me devez rien. Cependant que vos amis poètes se méfient, cette faveur restera unique !
La colère de François retomba. Mais avant de se rendre, il sonda encore La Reynie, cherchant où nichait son piège. Le policier ne bougeait pas. C’était dit. Il n’y reviendrait pas.
— Hélène de Montbellay me l’avait dit, mais je n’osais la croire, murmura-t-il enfin, résolu et assagi. Suis-je vraiment délivré de tout ?
—
Weitere Kostenlose Bücher