L'Insoumise du Roi-Soleil
vers Maintenon. Ils semblaient d’accord. Mais sur quoi ?
— Voyez-vous, reprit-il, et c’est un vrai problème, nous sommes quelques-uns à penser qu’au fond de vous la suspicion persistera.
— J’ai confiance en monsieur de La Reynie.
— Vous n’accordez donc aucun crédit à madame de Montespan ?
— Mais à propos de quoi ? fis-je de mon air le plus innocent.
— Allons, un gondolier italien nous a rapporté les paroles que vous échangeâtes vous et elle et qui ont dû faire souffrir Dieu tant vous fûtes emportée par la rancœur et le ressentiment.
— C’était avant, balbutiai-je... avant la mort du marquis de Penhoët.
— Il reste toujours quelque chose après la colère. Il faudrait vous en débarrasser. Mais comment s’en assurer ? Ainsi, en voyant le roi, car vous aurez ce plaisir grâce à l’action de monsieur de La Reynie, ne serez-vous pas tentée de lui avouer que, malgré les assurances du meilleur policier de France, vous ne parvenez pas à vous ôter de la tête cette idée de machination ? Et ces mots, les vôtres, madame l’insoumise, qu’en fera-t-il ?
— Vous me prêtez un poids que je n’ai pas.
— Vous n’êtes qu’un caillou sur un chemin, mais le roi les regarde tous avant de choisir sa route. Et il n’y a pas que vous pour murmurer ces accusations. À force, quel sera l’effet pour nous, les jésuites ? Souhaitez-vous que nous soyons punis pour une faute que nous n’avons pas commise ?
— Non, répondis-je, admettant ainsi, par prudence et pour l’inciter à se dévoiler plus, qu’ils n’étaient pas liés à l’affaire.
— Et croyez-vous qu’il soit charitable d’accuser sans preuve ?
— Mais je ne le ferais jamais ! m’exclamai-je, mentant et abandonnant sur le coup un autre morceau de moi.
— Et demain, fit-il en se penchant, quand je ne serai pas là pour vous entendre, serez-vous aussi ferme ?
Cet homme qui ne payait pas de mine et s’exprimait d’une voix calme et ferme, dévoilait peu à peu un esprit rusé, des manières sournoises et un don supérieur pour raisonner habilement. La panique me saisit. Je n’étais pas de taille pour rivaliser avec un caractère aussi adroit que dangereux.
Il souffla et bougea la tête, car c’était son jeu et sa façon de me faire vaciller :
— Non, je sens en vous observant que je dois encore vous convaincre qu’aucun homme d’église n’a pu concevoir une telle indignité. Et au lieu de prier pour ceux que l’hostilité, l’emportement, le mensonge éloignent du Seigneur, il me faut prendre du temps et vous persuader que la vraie bassesse serait de croire à un complot visant à influencer le roi. Et que le prétendre serait une action diabolique. En somme, un péché mortel.
Il reprit cet air désolé et compatissant pour la pauvre brebis qui lui faisait face, mais sous lequel je sentais surtout percer le rhéteur habile à retourner les consciences et à faire ployer les âmes récalcitrantes :
— Madame ! Croyez-vous que les jésuites aient besoin d’user de ces méthodes ? lança-t-il d’une voix où je crus déceler une pointe d’orgueil.
Pourvu que Dieu n’ait pas prêté attention à tes mots dédaigneux, La Chaise, fis-je pour moi. Mais ce sursaut intérieur, que je trouvais courageux, ne mit pas fin à ma gêne. Il me tenait et me guidait, sans doute, vers le danger.
— Vous entendrez donc ce que je pense, reprit-il sur le ton du sermon. Oh ! je sais que vous douterez, d’abord, de ma sincérité. Puis vous serez étonnée. Et devant tant de secrets et de vérités, vous vous demanderez pourquoi j’ai parlé franchement. Alors, je vous dirai pour quelles raisons vous avez droit à ces confidences. Et vous saurez ainsi que mes mots n’étaient en rien mensongers.
Madame de Maintenon se cala dans son fauteuil de chêne aussi sévère que le reste du mobilier. Sa pose ressemblait à celle de Louis XIV dans sa chapelle. Une main sous le menton, l’autre sur l’accoudoir, elle s’abandonna à la voix limpide de François d’Aix de La Chaise.
— Il est inutile de me cacher ce que vous avez dit à la marquise de Montespan, commença-t-il. Son gondolier est un de nos amis. Ainsi, je connais les raisons qui nourrissent votre imagination. Le roi, contrarié par une somme d’affaires pénibles, pourrait décider de mettre fin à toutes les hérésies en révoquant l’édit de Nantes. Et pour qu’il se décide, nous aurions utilisé des moyens sataniques, comme
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