L'Insoumise du Roi-Soleil
l’entendre et d’accepter cette voie.
— Pourquoi feriez-vous cela pour moi, monsieur de La Reynie ? bredouillai-je en capitulant devant une posture que je n’admettais pas sans pouvoir expliquer pourquoi ce serviteur de l’ombre, détenteur des plus grands secrets du roi, semblait si assuré.
Il leva une épaule, puis une autre. Il retrouvait son calme :
— Madame, si tous les sujets du roi avaient votre obstination, votre courage et votre loyauté, j’aurais moins de travail... Et je crois juste de vous récompenser.
— Répondrez-vous encore à une entêtée ? repris-je néanmoins.
Je crus voir comme un sourire :
— Je vous en prie, madame.
— Si vous ne mentez pas, au moins vous me cachez quelque chose, n’est-ce pas ?
Il hésita. Puis, il se pinça le nez. Ses yeux roulèrent dans la pièce, cherchant la juste et bonne réponse qui nous satisferait tous deux :
— Ce que je pourrais... omettre ne concerne pas votre père. Vous agissiez pour l’honneur des Montbellay. C’est fait. Le reste, s’il existe, est à confier au roi.
Il se redressa, tira sur les pans de sa veste et me détailla :
— Et je n’aurai de cesse de rappeler à qui veut l’entendre combien j’appréciais le marquis de Penhoët. Croyez que je partage votre douleur.
Il toussa, marquant la fin de cette parenthèse :
— Levez-vous. Marchez. Vous sentez-vous mieux ?
— Assez forte pour aller me recueillir sur la dépouille de Louis de Mieszko.
— Je n’en doute pas, mais c’est non, fit-il en détaillant ma tenue. Tournez-vous maintenant...
Il termina la revue en examinant mon front :
— Oui, cela conviendra bien. Et à la guerre comme à la guerre...
— Que voulez-vous encore ?, m’inquiétai-je.
— Vous avez une autre visite à effectuer. Madame de Maintenon veut vous voir et elle n’est pas de celle à qui l’on refuse. Je vous conduis aussi, dans la mesure où il vaut mieux que je vous prépare. Et sachez que son avis comptera lorsque le roi décidera pour votre père.
Nous sortîmes du bureau au milieu de cette heure où la nuit résiste et ne s’achève pas. Nous empruntâmes le couloir où nous avions croisé Hardouin-Mansart. Déserté par ses bâtisseurs, et comme abandonné, le chantier était encombré d’outils, de planches de bois, de gravats, de pierres blanches aux allures inquiétantes. Œuvres inachevées et mystérieuses ou colosses terrifiants, une armée muette veillait sur un sanctuaire que nos pas auraient pu déranger. Je me pris à penser au fantôme. Les décors de Versailles se prêtaient à ces illusions.
— Avez-vous pu établir un lien entre l’homme qui a tué le marquis de Penhoët et le mort de la rue Mouffetard ?
Ma voix résonnait. Une toile grise se souleva sur notre passage. Ce n’était que le courant d’air, mais je ne pus m’empêcher de diriger le chandelier que je tenais en main dans cette direction. La Reynie se rapprocha de moi :
— J’éprouve les mêmes impressions. La nuit, ce château est... surprenant. Et je peux comprendre que l’on ait abusé les hôtes de la vicomtesse de Lancquet. Quelle était votre question ? Ah ! Le lien entre le mort et le tueur. Eh bien ! Il en existe un et, sur ce point, vous aviez raison. Se voyant perdu, l’assassin du marquis de Penhoët a avoué ses fautes. Il n’y gagnera aucune mansuétude à l’heure de son jugement, mais il s’est épargné les souffrances de la torture. Le fantôme, bien sûr, n’existe pas. Ce figurant était l’homme que vous aviez déniché parmi les comédiens de la troupe du Chapeau-Rouge. Et je m’en doutais car, dans ce théâtre, il avait proféré des paroles identiques à celles qui avaient effrayé la table de la vicomtesse de Lancquet.
— Comment saviez-vous qu’il avait dit la même chose ?
— Les mouches, madame. Nous avions le récit des témoins de son apparition à Versailles et mes hommes surveillaient le Chapeau-Rouge. Ils ont noté les phrases du comédien et il m’a suffi de les comparer à celles du revenant. Ah ! S’il n’avait pas fui dès le rideau tombé, tout cela ne se serait pas produit.
— Quel était le rôle de cet acteur ?
— Oh ! Le pauvre bougre n’avait de comédien que le nom. Un esclave en fuite en quête de subsides et que l’on avait recruté pour son allure... Il devait prononcer ses menaces. Après la mort, il renaissait pour se venger et obtenir la condamnation de son maître de Louisiane. Compte tenu de sa vie misérable,
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