L'Insoumise du Roi-Soleil
centre. Deux fauteuils côte à côte me montraient leurs dossiers. Ils se situaient face à une cheminée où brûlait un feu vif malgré le temps doux. La chaleur étouffante me prit à la gorge. La douleur revint me frapper la tête. J’attendis jusqu’à ce que madame de Maintenon me montre son profil. Elle me fit signe d’avancer. Une ombre bougea sur l’autre fauteuil. Elle n’était pas seule.
— Comment vous portez-vous ? s’enquit-elle d’une voix calme.
— Mieux, je vous remercie.
— Nous avons prié pour le marquis de Penhoët.
Elle tourna son regard vers l’autre fauteuil :
— Je vous présente le père François d’Aix de la Chaise 1 , le confesseur du roi.
Un homme sans éclat me salua en silence. Il avait soixante ans peut-être. Son visage, sa corpulence, ses vêtements, tout chez lui respirait l’insignifiant. Pouvait-il jouer le rôle que lui prêtaient ceux qui m’en avaient parlé ? Puis, je vis son regard profond qui semblait sonder mon âme. Et j’en fus gênée. Je regardai alors Maintenon dont le visage lisse n’exprimait aucun sentiment. Elle portait une robe bleue, taillée dans un velours brillant. Elle ne semblait pas souffrir du manque de sommeil. Mais n’était-elle pas déjà levée depuis longtemps ? Ses cheveux soigneusement tirés, son teint frais et dispos pouvaient l’indiquer. Pour tout dire, je détaillais une femme séduisante, aux formes pleines et corsetées, dont un tableau aurait saisi la beauté chaste d’une vestale que le temps rendrait bientôt inaltérable. Elle ne faisait pas moins que son âge, cinquante ans, parce qu’elle n’en paraissait aucun. Cette femme n’était en rien éteinte. Sa braise demandait à naître quand il restait à madame de Montespan quelques pépites rougeoyantes que le roi de France, en soufflant dessus, recouvrait peu à peu de cendres grises.
La pièce flottait entre ombre et lumière, hésitait entre chambre et salon et, pour tout meuble, se contentait d’un lit à baldaquin sagement refait et d’une table de travail lourde et carrée, aux pieds massifs taillés dans un chêne assombri au brou de noix. Dessus, trônait l’Évangile entouré de quatre lumignons évoquant la présence du Saint-Esprit. Puis un prie-dieu, couvert de velours bleu. Et un chevalet sur lequel était posé l’Ancien Testament. Et rien d’autre, pas une touche de couleur, pas un tableau aux murs, pas une tapisserie. La cheminée, oui, comme seule preuve d’une présence humaine et un tapis de laine aux mêmes teintes de bleu, où reposaient les pieds de Maintenon et de La Chaise.
— Venez vous asseoir, dit-elle doucement. Un nouveau jour commence. Et Dieu soit loué, cette affaire est terminée.
— Il semble que oui, madame, fis-je en m’exécutant.
— Le roi en sera ravi. Il détestait ce désordre.
La Chaise fit un geste et elle se tut. Il m’observa encore avant de parler :
— On entend beaucoup de bruits depuis que vous êtes à Versailles. Ainsi, on me rapporte que vous avez maltraité le chevalier de Saint Val.
Il se reposa un temps. Sa voix était fine. Non, acérée.
— Cela me plaît, reprit-il. Il faut punir l’orgueil, et Saint Val n’en manque pas. Mais il faut aussi se méfier des paroles. Dieu entend chacun de nos mots. Et ceux, portés par la rage, Lui font mal.
Il respira calmement, les yeux fixés sur l’âtre :
— On dit aussi que la colère vous habite. Que le sort de votre père vous enflamme.
— Puis-je vous répondre ?
— Vous êtes ici pour que l’on vous entende, Hélène de Montbellay.
La prudence, avait dit La Reynie. C’était le moment d’y penser.
— Je ne ressens aucun courroux. Mon esprit est apaisé. Je suis venu solliciter du roi le pardon pour mon père. C’est une œuvre charitable et de bonté. Je demande justice et non vengeance.
Il bougea la tête et parut satisfait :
— Dans ce cas, pourquoi déchaîner l’exaspération et la haine en parlant au roi d’un complot religieux ?
La prudence excluait-elle la franchise ?
— Je l’ai sincèrement cru, mais...
— Je vous en prie, livrez-nous ce que ressent votre âme.
— Monsieur de La Reynie m’a éclairée et m’a assuré qu’il n’existait rien de semblable à une conspiration. L’affaire est aussi basse que criminelle. L’argent, voilà le mobile.
— Êtes-vous sincèrement convaincue ?
— Pourquoi ne le serais-je pas ? Existe-t-il une raison pour que je puisse douter ?
La Chaise se tourna
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