L'Insoumise du Roi-Soleil
légèreté de ses engagements, mais les conséquences pour la tolérance et la liberté que vous chérissez. Si le roi est arbitre, et au-dessus de tout, qui peut contrôler son pouvoir ? Aucun homme, ce qui est sûr. Dieu ? Mais puisque le roi s’est placé au-dessus de toutes les religions, il n’a plus de juge. Il ne faut plus faire de distinction entre les catholiques et les huguenots, mais que tous soient de bons Français . Et ces bons Français seront dirigés par qui ? Le roi ! Voilà ce que décide l’édit de Nantes.
J’allais rétorquer qu’au-dessus du roi se trouvait son confesseur et que dans le cas de Louis XIV la question se posait de savoir qui était le maître, mais il ne m’en laissa guère le temps. Ou peut-être, devinant que j’allais réagir, il leva un bras et je reconnus dans ce geste l’école de Bourdaloue dont j’avais « apprécié » le sermon dans la chapelle royale.
— Par là, enchaîna-t-il, ce texte consacre le triomphe d’un système, et non celui de la tolérance. C’est la victoire de l’absolutisme qui conduit forcément à la tyrannie si aucune loi humaine ou divine ne vient brider son pouvoir. Le roi peut-il être absous de ses fautes ? Peut-il tuer, voler, et même révoquer, sans foi ni loi ? Les jésuites ne le croient pas. Mariana, un de nos compagnons espagnols, a justifié publiquement l’assassinat d’Henri III par Jacques Clément. Et il n’a pas fait usage de complot, de manœuvres obscures. Il a agi au grand jour, avec courage, en prenant tous les risques ! Et je maintiens qu’il s’agissait d’une honorable défense de la liberté que vous chérissez. Oui, quand le prince devient intolérable par ses vices et ses crimes, il doit être jugé, condamné et disparaître. Ainsi, nous estimons qu’il faut soumettre tous les hommes, même les rois, à des lois. Mais lesquelles ? Oui, quelles sont les lois qui ne portent pas atteinte à son pouvoir temporel ? Celles de Dieu. Il n’y a qu’Elles, car le roi, en étant au-dessus des hommes, reste néanmoins à jamais le serviteur du Tout-Puissant. Or l’édit de Nantes a affranchi le roi de cette obligation. Il est dorénavant maître chez lui, libéré de ses devoirs. Il agit comme il veut, sans avoir à rendre de comptes. Il est l’arbitre de la tolérance et de la liberté. Il peut, s’il le souhaite, étouffer ces vertus et agir tel un tyran. Pensez-vous qu’un homme, quel qu’il soit, ne puisse un jour se voir tenté par le vertige du pouvoir sans limite ? Alors, rugit-il, un homme, au prétexte qu’il est roi, ne doit-il pas être contrôlé ?
— Il le doit, concédai-je en un murmure à peine audible.
— Vous comprenez donc qu’en abrogeant l’édit de Nantes, le roi ne ferait que nuire à son autorité. Et, par ce signe, indiquerait la sainte volonté de se soumettre à nouveau et humblement à la Loi de Dieu. En abolissant l’édit de Nantes, le roi accepterait Sa Parole suprême qui est Amour, et seul moyen d’instaurer la tolérance. En révoquant l’édit de Nantes, le roi établirait un principe général en lieu et place d’un traité de paix provisoire. Et je fais partie de ceux qui pensent sincèrement qu’un État de droit fondé sur les Lois du Créateur est préférable aux caprices d’un homme retenu par aucune règle, aucune morale, et n’ayant aucune conscience de ses péchés ou de ses fautes, car ici gît la véritable hérésie. Haereticas exterminare ! Oui, en jurant, par le serment du sacre d’exterminer les hérésies, le roi a promis d’agir autant pour lui que pour les autres. Le tyran est-il hérétique ? Assurément, puisqu’il ne respecte pas les commandements de Dieu. Du moins, nous le pensons. Ainsi, madame, par notre action, nous voulons freiner le roi, non le protéger. Nous voulons qu’il s’incline, fasse pénitence, reconnaisse qu’il est homme et dévoué à l’amour du prochain et au bonheur de tous. Or ce n’est pas possible aujourd’hui, en l’état du Royaume et de ses textes dont les protestants sont les premières victimes comme, hélas, on le voit dans les dragonnades de monsieur Louvois. Ainsi, contrairement à ce que vous prétendiez avec légèreté, nous luttons pour la liberté et pour la tolérance et œuvrons, par l’action et la prière, afin de placer le roi sous le règlement de Dieu. Et c’est ainsi que nous serons le mieux unis. Et c’est pourquoi son confesseur et tous les orateurs dont on dit tant de mal
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