L'Insoumise du Roi-Soleil
se situe pas dans le bas monde. Il faut un vrai désordre pour provoquer la réaction du roi ? Son sort s’efface alors devant des intérêts supérieurs. Faut-il qu’il s’immole pour que triomphe la thèse de Dieu ? Est-il même informé qu’il y sera sacrifié ? Refermons ces questions, madame. Et oublions ce qui ne restera que des hypothèses. Nous avons mis fin à une série de meurtres dont la cause sera publiquement une compagnie en Louisiane, et pour le reste, un mystère.
— Avez-vous imaginé que cette liste ait pu être un faux, produit pour brouiller les pistes et vous induire en erreur ?
— Oui, j’y ai songé et c’est pourquoi je l’ai brûlée.
— Ah ! monsieur. Mais c’est un crime ! Vous avez détruit une preuve qui me permettait de me jeter aux pieds du roi et de lui dire...
— Allons ! À l’instant, vous conveniez qu’il pouvait s’agir d’un document mensonger. Et qu’auriez-vous proféré comme idiotie en vous précipitant sur le roi ? « Prenez garde, sire. La Chaise est à la fois victime et comploteur ? Et Montespan ! Qui aurait pu vouloir la faire disparaître ? Maintenon, pourquoi pas ! »
Il haussa les épaules :
— Croyez mon expérience. Le résultat que vous auriez obtenu se résume à ceci : ajouter au tohu-bohu et à la confusion. Et donc servir les intérêts des liberticides.
Il secoua la tête et son regard se perdit sur les premiers faubourgs de Paris :
— En détruisant cette pièce dont la valeur était discutable, j’ai mis fin à ces diableries. J’ai servi la cause que vous défendez. Je me suis rangé aux côtés de la tolérance.
— Mais en agissant ainsi, vous avez pris le risque de protéger les jésuites dont on aurait pu découvrir le jeu néfaste.
— Pure hypothèse, bougonna-t-il. Rien ne prouve qu’ils soient intrigants.
— Vous vous soumettez à cet ordre !
— Non, madame. Je me soumets à l’État.
— Il faudra m’expliquer pourquoi, enrageai-je.
— Ce n’est pas un secret, Louis XIV a une vision de son gouvernement que je qualifierai d’absolutiste et l’installation à Versailles n’a fait qu’aggraver les choses. Tout part de lui et tout revient à lui. Les courtisans, le château, et même l’étiquette qu’on impose poursuivent le même dessein. Tout dominer, tout contrôler, et faire en sorte que les forces qui s’affrontent s’épuisent d’elles-mêmes. Est-ce l’ambition ou la peur qui pousse le Roi-Soleil à agir ainsi ? Le résultat est que, par son système, les oppositions et les critiques sont de moins en moins fréquentes. Bientôt, il n’y aura qu’une seule loi, une seule foi et un seul roi. Et qui pourra s’y opposer ?
— Vous raisonnez comme La Chaise, murmurai-je.
— Oui. Car les jésuites ont senti le danger d’un roi absolu. Et s’ils pensent que cela risquerait de nous conduire à la tyrannie alors, oui, j’oublie ce qu’ils auraient pu commettre et je rejoins leur croyance. À défaut de preuve, je conclus que ce qui pourrait les accuser n’est que pure invention. Et je m’en tiens aux faits : quel péril encourons-nous ? La cour soumise à Versailles n’est qu’un des dangers qui menacent la France. La religion gallicane est aussi l’empreinte de Louis XIV sur le domaine spirituel. Songez qu’il ne répond plus qu’à sa loi puisque le Saint-Siège n’est plus maître en France. Et que se produira-t-il quand l’édit de Nantes sera révoqué ?
— Vous le prédisez aussi ?
— Madame, le roi ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Il a mis fin à la paix de l’Église, et personne ne s’est révolté. Il a freiné l’autorité d’un pape qui ne décolère pas, mais qui ne peut rien faire. Le roi tient la noblesse depuis l’installation à Versailles. Quels sont les derniers obstacles à son pouvoir, conçu sans limite et sans partage ? Les jansénistes et les protestants ! Mais ils devront capituler ou disparaître. C’est une question de temps. Et le roi n’a pas besoin des conseils des jésuites pour s’en persuader seul. Alors, le Soleil n’aura plus de contradicteurs. L’État ? Il sera bientôt entre les mains d’un seul homme.
— Et, malgré tout, vous servez celui-ci ?
— Je le dis encore : je fais en sorte que ce roi ne s’empare pas de l’État pour son seul profit. Et qui profite de ces affaires où se mêlent turpitudes et sorcelleries ? Certainement pas les jésuites qui ne cachent pas leur jeu et dont tous se méfient tant qu’ils sont
Weitere Kostenlose Bücher