L'Insoumise du Roi-Soleil
entendu La Chaise m’expliquer que le crime, y compris celui de tuer un roi, est légitime à ses yeux quand sa cause est noble. Le casuiste compose avec les règles morales et les adapte selon ses desseins. Si assassiner un tyran est juste, on réservera le même sort à ceux qui contrecarrent les plans de Dieu. Or, La Chaise et tous les jésuites sont convaincus de servir Dieu en conseillant au roi de révoquer l’édit de Nantes. Croyez-vous que la mort d’un homme pèse face à une décision historique ? La Chaise, encore lui, a pris plaisir à m’expliquer que l’avis d’une petite provinciale, il parlait de moi, comptait peu dans l’esprit du roi. La fin justifie les moyens, monsieur le policier. Tuer pour faire taire ceux qui entendent convaincre Louis XIV de ne pas révoquer la tolérance ? Ce n’est pas impossible. Non, c’est la vérité. Voilà comment l’affaire du fantôme se révèle un complot religieux dont vous avez pris soin de tout me masquer.
— En avez-vous fini ? soupira-t-il.
Sa sérénité fit plus pour ébranler mes certitudes qu’un discours orageux.
— Oui, je crois, répondis-je d’une voix moins assurée.
Son visage devint grave. Ses yeux se fixèrent sur moi. De nouveau, je faisais face au lieutenant du roi, et, dans les mots qu’il prononça d’une voix éteinte, perçait le poids d’un homme d’État, épuisé par les secrets qu’il portait trop souvent seul :
— Si je prends votre thèse pour argent comptant, comment expliquerez-vous que le nom de celui qui devait être assassiné, aujourd’hui même, si nous n’avions pas mis fin à cette série, n’était autre que La Chaise ?
Les mots entrèrent dans mon cerveau et m’assommèrent. Le confesseur du roi ?
— Oui, Hélène de Montbellay. La Chaise devait être tué. Ce nom figurait sur une liste que nous avons trouvée en retournant les poches de l’assassin du marquis de Penhoët. Je dis toujours à mes hommes qu’il faut effectuer une fouille en règle, chercher dans les doublures, les plis, les ourlets. Et nous avons trouvé. Oh ! La Chaise n’était pas seul. Voulez-vous un autre nom ? Montespan.
Le carrosse filait vers Paris secoué par les nids-de-poule. Mon esprit allait de même, ballotté et heurté par les révélations de La Reynie.
— Et si ce désastre est vrai, nous n’avons pas affaire à un complot, madame. Je penche pour le chaos. Oui, on voulait provoquer un séisme, une catastrophe politique. Une situation d’exception qui obligerait le roi à réagir...
— Mais qui ? Par pitié, le savez-vous ? parvins-je à murmurer d’une voix sèche.
— Je vous ai appris lors de notre premier rendez-vous qu’il faut chercher à qui profite le crime. En l’espèce, si cette machination s’était déroulée comme prévu, qu’aurait fait le roi ? D’abord, remettre de l’ordre et c’était à moi qu’incombait cette mission. On arrêtait, torturait, pendait une série de bougres qui auraient juré n’être que des lampistes. Hum... Cela appelle mes souvenirs. L’Affaire des Poisons ? Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Qui en aurait tiré profit ? L’ordre, l’intolérance, et s’en suivait mécaniquement un nouveau tour de vis. Cette situation affligeante ne constituait-elle pas la preuve qu’il devenait temps de mettre fin à la liberté religieuse ? Je crois toucher au but en affirmant que les conditions étaient réunies pour décider la révocation de l’édit de Nantes. Or, qui sont les partisans de cette thèse ? Les jésuites. Alors, faut-il croire à un complot fomenté par cette congrégation religieuse ?
La fatigue, la charge de ces nouvelles, le huis clos dans lequel tournait la question d’un La Reynie me toisant en silence, tout se combinait pour affoler ma raison.
— Rien n’est simple, hein ? grimaça-t-il comme pour expliquer que lui-même se lassait.
— Si le nom de La Chaise figure sur cette liste, ces crimes ne peuvent être l’œuvre des jésuites, glissai-je d’une voix éteinte.
— Vous avancez sans nuance, me tança-t-il gentiment. Ou plutôt, vous raisonnez en ne pensant qu’à la façon dont vous agiriez. Mais êtes-vous jésuite ? Savez-vous ce que pèse la vie d’un soldat de Jésus face à cette mission supérieure : sauver le roi de sa propre tyrannie ? Le père La Chaise est un homme passionné mais peu hanté par les choses temporelles. Avez-vous noté sa tenue ? L’essentiel pour lui, et contrairement à vous, ne
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