L'Insoumise du Roi-Soleil
naïves paysannes. Et le brillant moraliste 11 avait raison d’en découdre avec les mœurs de l’époque quand celles-ci condamnaient de pauvres martyres à la vie honteuse de fille-mère. Mais Pierre de Montbellay n’agit jamais de la sorte. Ses victimes, je peux témoigner pour avoir assez souffert de leur présence, cédaient pour l’aventure d’un jour ou pour échapper un temps au morne destin d’un mariage arrangé par deux clans plus soucieux de leurs avantages que du bonheur des femmes. Se vengeaient-elles aussi en se sentant enfin adorées ? Mon avis est direct. Le jugera-t-on scandaleux ? Je parle au nom de toutes les femmes qui ont souffert de conventions insupportables où le sort d’une vie d’amour pesait moins qu’une chasse, un bois ou du bétail. Aurais-je au moins des reproches à dire à mon père ? Rompre un peu trop souvent.
À Saumur, en Anjou, et jusqu’à Paris, Pierre de Montbellay multipliait les conquêtes, et la noble qualité de ses maîtresses faisait pâlir d’envie. Au plus profond de lui, mon père aimait toujours ma mère, et jamais il ne songea à m’abandonner. Bien sûr, mon cœur se serrait quand le nom d’une nouvelle femme circulait à Saint Albert. Allait-elle obtenir ce qui avait été refusé aux précédentes ? Une nouvelle vie ? Un fils qu’il avait tant désiré ? Alors, je perdrais mon père. Parfois, la jalousie et la colère me poussaient aux pires actions. J’ai brûlé le portrait d’une jeune comtesse, déchiré les robes d’une autre qui prenait racine au manoir. Je me suis fait passer pour folle, affirmant que ce vice atteignait aussi le comte, les nuits de pleine lune. J’ai même inventé l’histoire d’un loup-garou pour faire fuir une belle et redoutable Italienne qui se prétendait poétesse. Mais mon père ne m’en a jamais tenu rigueur.
— Accorde-lui la moitié de la confiance qu’il te prête, soupirait Berthe. Il n’a qu’une adoration, et c’est toi.
Sa main potelée et rose séchait les larmes qui coulaient sur mes joues. Elle se levait, le lit grinçait de soulagement, le parquet gémissait. Elle marchait à petits pas, fermait doucement la porte de ma chambre. Je m’endormais sur cette promesse si douce.
La sage Berthe avait raison. Peu à peu, mes craintes s’effilochèrent. Aucune femme n’occupait dans le cœur de Pierre de Montbellay une place plus grande que celle d’une maîtresse. Le temps passa... Je devenais jeune femme. Un soir, je surpris Berthe en train de bougonner dans sa cuisine. Il fallait improviser un souper et on l’avait prévenue fort tard. Pas assez de volailles, pas assez de feu... Pourtant, la graisse avait brûlé.
— Il m’en fait voir de toutes les couleurs !
Ses joues en témoignaient.
— Qu’as-tu à gémir ?
J’étais dans son dos. Berthe sursauta.
— Cet homme est trop vert... Il reçoit encore. Elle est arrivée à cheval depuis Angers. Simplement pour le voir. Mon œil ! Son pauvre mari inspecte les forteresses de Rochefort. Elle s’installe pour trois jours. Et je compte court. Vois-tu la sarabande que nous allons connaître ? À boire, à manger ! Et la nuit, Berthe ceci ! Berthe cela ! Du pain, des œufs frais, des poulardes et toujours plus de vin ! Du lait ? Elle en veut dans son bain ! Chaud, mais pas trop. Quand j’ai dit qu’elle s’empoisonnerait le sang, ton père a ri ! Et comment savoir de quoi est fait un bain de lait tiède ?
Le temps de son discours, Berthe avait quitté des yeux ses braisières. Le lait en avait profité pour filer.
— Sainte Vierge ! Priez pour que tout cela s’arrête.
— Préfères-tu qu’il fasse pénitence, pleure son épouse et entre en religion ? Te vois-tu en train de servir un vicaire et réciter des Pater , du matin au soir ?
Berthe écarquilla les yeux. Elle imaginait. Son humeur s’en trouva aussitôt modifiée.
— En effet, il y a sans doute plus grave qu’un pot de lait.
Mais elle réfléchissait encore.
— Quelque chose me trouble, dit-elle pour finir.
— Mais quoi, ma petite Berthe ?
Soudain, son visage s’adoucit. Elle se posta face à moi, les mains vissées sur les hanches. Et, tout en gardant la pose, elle leva un sourcil épais :
— Tu viens d’absoudre ton père. C’est nouveau.
— T’en plains-tu ?
— Non, vociféra-t-elle. Oh que non ! C’est la preuve que tu grandis.
— Est-ce un mal ?
— Prendre de l’âge, il faut qu’on y passe tous. Mais, dis-moi, tu l’excuses ?
— Je
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