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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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ans quand les événements dont j’ai décrit les signes précurseurs se produisirent. À l’automne 1682, ma jeunesse s’acheva. Comme un signe avant-coureur, un froid vif succéda brusquement aux saisons douces que j’avais connues. Mon éducation semblait terminée. Qu’avais-je à espérer ? Un beau mariage et une pléiade d’enfants ! Je serais comblée et soumise à mon prince. Et la vie passerait au château de Saint Albert ? Il n’est pas nécessaire d’expliquer pourquoi ce futur ne me convenait pas. De nombreux prétendants sollicitaient mon père qui, lui, ne décidait rien. Ce cousin, Antoine de Beaupont, peu déniaisé et qui avait épaissi ? Cet autre de Bourgogne, allié du côté de ma mère, et dont j’avais reçu quelques lettres mal écrites dans lesquelles il n’était question que de vignes et d’arpents qu’il combinerait avec les terres de Saint Albert pour le profit de son clan ? Mon père sondait mon regard. Il y lisait que je rêvais d’autres aventures.
    — Versailles, emmenez-moi, répétai-je.
    Mais le sujet prenait fin. Un dernier regard dans l’espoir de le faire céder ? D’obtenir son accord ? Alors, il s’impatientait et prédisait qu’il ne serait pas toujours là pour me défendre et me protéger de ces tentations stériles, de ces vaines chimères de jeune fille trop gâtée.
    — Sans parler de ce qui me menace, assénait-il de plus en plus souvent.
    Le 12 octobre 1682, je finis par le supplier de s’expliquer. Était-il malade, engagé dans de mauvaises affaires, soumis à la pression des créanciers ?
    — L’affaire est beaucoup plus sérieuse, Hélène...
    Et puisqu’il n’ajoutait rien, ma colère fit le reste :
    — Vous feriez face à votre fils, vous lui parleriez !
    Ces mots plus durs que mes pensées eurent un effet que je n’escomptais pas. Aussitôt, il me pria de m’asseoir.

    En ce début d’automne, la froidure soudaine nous avait poussés à déserter les pièces réservées à l’apparat. Nous préférions serrer nos âmes dans la grande cuisine où un feu vif brûlait de l’aube jusqu’à la nuit. Et s’il nous prenait l’envie de nous réunir après le coucher du soleil, nous étions certains de trouver une belle lumière.
    Berthe vouait un culte païen au feu. Dès que la flamme faiblissait, elle courait chercher du bois. La vestale de Saint Albert se félicitait de n’avoir jamais connu un jour sans que la fournaise noircisse l’âtre où cuisaient toujours des mets d’à point. Sa règle était de prévoir les imprévus . Car le comte de Saint Albert pouvait jaillir dans son fief pour lui annoncer abruptement un souper d’amis.
    — Les hommes ! Ils se contentent de manger ma viande. Mais une femme ? Ah ! pourvu qu’il ne lui vienne pas encore de drôles d’idées...
    J’aimais particulièrement ce lieu au moment où le jour cède la place à la nuit. Le cuivre des marmites, des daubières, des casseroles accrochées au-dessus de la cheminée brillait alors d’un éclat féerique. La silhouette de Berthe se perdait dans les vapeurs et la fumée de ses onguents. Assise sur une chaise, j’observais ses gestes rapides. J’écoutais ses marmonnements à propos de recettes qu’elle récitait le temps de ses préparations car elle ne savait pas lire et ne voulut jamais apprendre.
    — Ceux qui s’y sont essayés le regrettent, soutenait-elle. La vieillesse dévore leurs yeux, et lire tue la mémoire. Grâce à Dieu, j’ai tout dans cette tête que je risque moins de perdre qu’un morceau de papier. Sans compter que pour copier ce qui s’y trouve, il faudrait me torturer. Non, je n’ai rien de bon à gagner à changer mes habitudes.
    Puis elle ajoutait un détail, une herbe, un bouillon qui métamorphosait un fade rôti en une invention dont elle seule pouvait en effet éclaircir le miracle. Berthe participait à mon bonheur et fabriquait celui de Saint Albert. Se pouvait-il qu’il s’arrête ? De quelle nouvelle grave mon père voulait-il me parler ? Je sondais son regard et lui, il cherchait ses mots.

    La porte de la cuisine ouvrait sur la cour d’honneur du manoir. Personne ne pouvait se présenter sans qu’on en soit informé. Les chiens ne quittaient pas ce refuge, guettant les morceaux de gras. Si bien que la cuisine était à la fois une frontière et le lieu de tous les passages. Au fil de la journée, chacun tenait salon ou s’informait sur la vie du domaine. Mon père y venait pour recevoir les

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