L'Insoumise du Roi-Soleil
fais confiance à Pierre de Montbellay.
— Te voilà enfin raisonnable.
Puis, elle soupira :
— Bientôt, tu seras grande et belle femme... Et je te perdrai.
— Pas plus que nous perdrons mon père !
Nous tombâmes dans les bras l’une de l’autre.
— Berthe ?
— Oui, murmura-t-elle en reniflant.
— Je vais t’aider à préparer ce souper.
— Tu promets de ne pas glisser de poison dans la soupe de cette aventurière à cheval ?
— J’ai grandi. C’est toi qui l’as dit.
La cavalière d’Angers resta dix jours. Nous la saluâmes quand elle se décida à partir. Elle pleurait. Il s’agissait d’un adieu. Selon l’humeur de son mari, le chemin qu’elle reprenait ressemblerait à celui de la pénitence ou à celui du couvent.
Qu’avait donc de plus ce petit comte de province pour séduire ainsi les femmes ? Du cœur et de l’esprit, sans doute. Des qualités où la naissance n’intervient pas. S’y ajoutaient l’art et la manière dont l’excellence ne s’apprend pas. Mais à Paris ou à Versailles, il se trouvait toujours un salon où le nom de Pierre de Montbellay circulait sur les lèvres des femmes.
Pour ajouter au triomphe de mon père, il y eut encore ces lettres de madame de Sévigné, une cousine lointaine où le nom de Bussy-Rabutin 12 se mêlait au nôtre, via feu ma mère.
La marquise de Sévigné, observatrice attentive de la société, trempait plus souvent sa plume dans le vitriol que dans le miel. Les faits et gestes de Versailles étaient passés à la loupe. Et la comtesse n’avait pas besoin d’espionner. Dans son salon de l’hôtel Carnavalet, situé dans le Marais, à Paris, s’affichait l’excellence de la cour. En échange d’un chocolat chaud, princesses et chevaliers venaient confesser les derniers exploits de leurs pairs. Par vengeance ou par jeu, chacun y allait de son ironie. Ainsi se racontaient les frasques et les scandales des courtisans. On glosait sur l’exécution de la Brinvilliers lors de l’Affaire des Poisons. S’était-elle repentie avant de mourir ? On pariait sur l’avenir de Quanto, nom de code de Montespan, favorite du roi. On détaillait le suicide de Vatel. Le cuisinier de Condé s’était senti humilié, car trois tables avaient manqué de poisson lors d’un banquet tenu en l’honneur du roi, à Chantilly. S’était-il vraiment embroché par trois fois avec sa propre épée ? On se moquait, mais de qui ? De l’honneur exagéré de Vatel ou de la réaction du Condé qui, voyant le mort, pleura sur sa cuisine plutôt que sur son gâte-sauce ?
Ces mots, quand madame de Sévigné le voulait, blessaient plus sûrement que la dague. Il valait mieux résider dans le camp de ses amis. Et Pierre de Montbellay en était. Dès lors, il accepta de lui livrer certains détails de ses conquêtes.
En sortant du chasteau par le vestibule de la Cour de marbre, on ira sur la terrasse. Il faut s’arrester sur le haut des degrez pour considérer la situation des parterres des pièces d’eau et les fontaines des Cabinets ... Louis XIV débutait ainsi sa Manière de montrer les Jardins de Versailles. Cette visite ennuyeuse, écrite plus tard par un roi vieillissant, n’était pas celle qu’empruntait le jeune comte de Saint Albert au temps de la splendeur printanière de Versailles. Il préférait, lui, fixer ses rendez-vous amoureux de Versailles non loin du bassin de Bacchus ou de celui d’Apollon. Ces noms suffisaient pour amuser la marquise de Sévigné. Et activer son imagination. Elle devint la confidente de son père. En échange de quoi, et sans qu’il n’eût rien demandé, elle augmenta sa légende. Ici ou là, dans les plis d’une ligne, la brillante épistolaire grandit les exploits amoureux de son cousin par alliance. Pour la joie des courtisans, la rumeur se chargea d’alourdir le tableau. Ainsi, j’affirme que mon père ne fit jamais peindre des cornes sur la porte du carrosse du marquis de Jouard au motif que sa trop jeune épouse succomba aux avances du comte de Saint Albert près des cascades du Dragon. Cette histoire est vraie, mais elle concerne le mari de madame de Montespan. C’est lui qui organisa le faux enterrement de sa femme alors qu’elle venait de céder au roi. C’est lui qui fit poser les bois d’un cerf sur le toit de son carrosse pour illustrer son déshonneur. De même, Pierre de Montbellay ne fit pas le pari de défleurir, en un été, autant de jeunes demoiselles que comptait de jets d’eau
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