L'Insoumise du Roi-Soleil
C’était celui d’Apollon. Il trônait au sommet, entouré des Siècles d’Or, d’Argent, d’Airain et de Fer. Python, Daphné, Hyacinthe, Atlas 7 suivaient sa course, accompagnés de pages et de comédiens figurant les douze heures du jour et les douze signes du zodiaque. Le temps, les dieux et les demi-dieux, le beau et le puissant, la force et la splendeur entraient donc également dans l’île enchantée. Que restait-il aux mortels, oubliés et abandonnés dans le monde ordinaire ? Dans celui inventé par le roi, tout s’arrêtait et se fixait. Même le jour puisque la nuit vint. Était-ce déjà la fin d’une chimère ? La réponse surgit après une collation. La course de la Bague débutait.
Cet exercice d’adresse, comparable aux tournois chevaleresques, entretenait un lien étroit avec le thème des fêtes. La bague figurait la reconquête de la liberté. Le roi fut excellent. La bague n’échappa pas au propriétaire des clefs de ce royaume.
Lully et ses trente-quatre musiciens se présentèrent alors, avec pour mission de faire vibrer le cœur de cette assemblée. Pendant le concert, deux cents flambeaux tenus en main éclairèrent toute la scène. Ailleurs, dans la pénombre, le souper se préparait. Quand il fut prêt, quarante-huit valets arrivèrent en portant sur la tête de vastes bassins contenant les faveurs du Printemps, de l’Été, de l’Automne et de l’Hiver. Les saisons aussi s’étaient réunies pour communier dans ce royaume insécable. Puis, l’abondance fut servie à la lueur d’une multitude de chandeliers à vingt-quatre bougies. Le roi se montra joyeux, affable et ouvert à tous. Chacun le remercia pour ces moments de plaisir. On crut que l’essentiel avait été joué. Mais ce n’était que le premier jour.
Le lendemain, les festivités ne reprirent qu’à la nuit. Les ombres ajoutèrent à la magie et les invités se laissèrent porter par le mouvement. Bercés comme dans un songe, ils furent conduits vers une scène cerclée de palissades. On tira une grande toile, et quand le spectacle débuta, il devint difficile d’apprécier où commençait la réalité et où finissait le rêve. Molière et Lully furent les artistes principaux de ces enchantements. On mêla aux ballets des intermèdes chantés, dansés et joués, le tout accompagné par des clavecins, un chœur et trente violons. Pendant que des artistes, déguisés en bergers et bergères, dansaient et chantaient, la machinerie du théâtre fit s’ouvrir la scène, et sortant du sol, on vit surgir un grand arbre portant seize faunes, dont la moitié jouait de la flûte et l’autre du violon, le tout répondant aux musiciens de l’orchestre resté sur terre. Bergers et faunes s’unirent ensuite pour entamer le tableau final. Ballard avait raison d’écrire « qu’il ne s’était encore rien vu de plus beau en ballet ».
Lors du souper qui suivit et qui fut dressé sous une toile immense destinée à protéger les flambeaux des bourrasques du vent, on se prit à fredonner le refrain de la dernière invention de Jean-Baptiste Poquelin 8 : « Il n’est rien qui ne se rende aux doux charmes de l’amour... »
Les charmes de l’île enchantée ? Ils agissaient de mieux en mieux. Avant de s’endormir, ses habitants se remémorèrent ce qu’ils avaient vécu et certains tentèrent d’imaginer ce qui les attendait. Vivre mieux ? Impossible. Pourtant, ce fut le cas.
L’enchantement tournait au sortilège. Celui dont on se sert pour capturer et domestiquer une proie.
— Devant la grandeur du roi, tous les présents capitulèrent, avoua mon père.
Ainsi, dans l’île du roi Louis XIV, le piège se referma. Il avait été facile d’y accoster. Il devenait difficile de s’en détacher. D’autant que le repère d’Alcine, cette place inexpugnable, devenait de plus en plus fascinante, attachante... captivante.
Au cours de la troisième nuit, on comprit que le spectacle avait été conçu comme une sorte de parcours initiatique. Il se déplaçait et se rapprochait, peu à peu, d’un plan d’eau que l’on pouvait comparer au lac au milieu duquel avait été bâti le château d’Alcine. Il était temps de libérer les chevaliers qu’elle gardait prisonniers. Prévenue qu’un assaut imminent se préparait, la magicienne, devenue furieuse, avait multiplié les embûches. Alors que les spectateurs approchaient de sa forteresse, un rocher de taille considérable jaillit soudainement des flots.
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