L'Insoumise du Roi-Soleil
le bien-nommé bassin de Flore, soit plus de trente. Mon père voyait-il du bien ou du mal à ce qu’on lui bâtisse une réputation outrée ? La question ne se posait pas en ces termes. Ces faux l’amusaient. C’était l’illustration même de l’oisiveté. Complice des moralistes ? Voilà toute l’accusation, mais comme madame de Sévigné, il y pensait comme un moyen de piquer les mœurs de l’époque et ne se sentait ni héros ni victime. Décrire le désœuvrement de la cour, et sa disponibilité pour l’aventure, en dénoncer les excès, comptait plus que la citation de noms, de lieux ou de situations plus ou moins romancées.
Et puis, malgré la réputation – usurpée et néfaste – qu’on lui faisait, pourquoi renoncer au fait de séduire ? Cette interrogation s’adressait autant à mon père qu’à madame de Sévigné. Les deux étaient aimés. Trop, sans doute, et ils ne surent pas résister à la satisfaction de l’être davantage.
La marquise de Sévigné écrivait, en premier, pour plaire et distraire sa fille depuis que cette épouse, soumise à son mari, s’était éloignée de Paris. Et cette mère attentive y parvint au-delà de tout espoir. Ses traits, ses flèches légères et brillantes remédièrent à l’alanguissement de sa fille. Mais bientôt, celle-ci ne fut plus sa seule lectrice. On attendait, réclamait les lettres de Sévigné. Elles circulaient, se lisaient en secret, se chuchotaient. Et devinrent des légendes. Il ne manquait qu’un pas pour leur faire dire ce qui n’était pas écrit. On se livra dès lors à toutes sortes d’inventions. Le sujet piquant, cynique, idéal pour soigner l’oisiveté, sans vérifier honnêtement si les faits rapportés étaient exacts ou réels 13 , devint alors le récit des amours libertines de Pierre de Montbellay.
À travers lui, et des exploits pour beaucoup grossis et parfois imaginaires, on cherchait à blesser, à nuire, non pas à mon père, mais à ses premières victimes : les maris de ses maîtresses. Ah ! qu’il était bon d’atteindre un duc ou un marquis en le traitant de dupe. L’idée, méchante et calculée, était de l’affaiblir alors qu’il sollicitait une audience au roi. Confier à la nièce d’un boute-en-train, dont la réputation était plus écornée que le front, la gestion des revenus de cette abbaye, de son abbesse et de ses pucelles ? Allons ! Monsieur ! Il faudra apprendre à surveiller son propre troupeau. Pour le reste, nous verrons 14 .
Ce qui n’était qu’un amusement devint rapidement une arme et ce qui se racontait pour rire une blessure, une vexation et parfois un outrage. La manipulation, que la cour de Louis XIV avait convertie en système de gouvernement, fonctionnait. Les mensonges se transformèrent en intrigues. On se servit du nom de Montbellay pour atteindre ses victimes imaginaires. L’affaire remonta jusqu’au roi qui s’en agaça. Fausses ou vraies, les histoires que l’on prêtait au seigneur de Saint Albert nuisaient à l’étiquette de la cour qui, au fil des années, se teintait de rigueur et de moralité.
Comme l’époque légère des premières années de règne prenait fin, bientôt mon père fut averti, menacé et prié de s’exécuter. Il devait cesser ses agissements versaillais ou se retirer sur ses terres.
Exiler pour de simples commérages ? Le procès en disgrâce demandait des preuves plus sérieuses. Mon père n’y crut pas. Mais, pour son plus grand malheur, ce qu’on lui reprochait n’était que peccadilles en comparaison de la suite.
Pierre de Montbellay se montrait peu à la cour du roi. Venait-il pour y ajouter une courbe à son tableau ? On le colportait, mais ce n’était pas la seule raison. Dans ce lieu capital, où se retrouvait tout ce que ce royaume comptait d’intelligence, de savoir, d’impertinence, mon père naviguait avec aisance. Hélas, il affichait un peu trop ses idées. Les accusations de libertinage, après celles de mœurs légères, se portèrent sur sa façon de penser. Son esprit de tolérance, qui allait de pair avec sa conduite, devint la proie de ses ennemis. On ne badinait plus avec l’amour et la liberté. Ses opposants se souvinrent alors de ses éclats et de sa défense des protestants. Ils firent ressurgir l’incident avec le puissant comte de Mortureaux, lors de la fête de Saint Albert. Ils préparaient son jugement. Il ne leur manquait qu’une mèche. Et mon père la leur fournit.
J’avais vingt
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