Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
derrière… ma foi, je ne me souviens pas derrière quelle artère ; mais, quelque bien cachée qu’elle fût, nous l’avons trouvée. Oh ! c’est un homme qui fait des miracles, le plus grand chirurgien de l’Angleterre.
Lionel étendit le bras pour trouver sa bourse que Meriton plaçait régulièrement sur la table tous les matins et qu’il en retirait chaque soir, et, prenant quelques guinées, il les lui donna.
– Il faut un peu d’or pour faire le contre-poids de ce plomb, lui dit-il ; mettez cette malheureuse balle de côté, et que je ne la revoie plus.
Meriton regarda les deux métaux avec beaucoup de sang-froid, et jeta sur les guinées un coup d’œil qui sembla en calculer la valeur en un instant ; après quoi il mit négligemment l’or dans une poche, et enveloppa soigneusement le plomb dans du papier avant de le placer dans une autre ; alors il ne songea plus qu’à s’occuper de ses devoirs ordinaires.
– Je me souviens fort bien d’avoir assisté à un combat sur les hauteurs de Charlestown, continua son maître, et même d’y avoir été blessé. Je me rappelle aussi différentes choses arrivées depuis ce temps, pendant une période qui m’a semblé aussi longue que tout le reste de ma vie, et cependant, Meriton, je crois que je n’avais pas toujours des idées parfaitement claires.
– Mon Dieu ! Monsieur, vous m’avez donné des éloges et vous m’avez grondé cent et cent fois ; mais, en me grondant, vous n’aviez pas le ton aussi vif que de coutume, et jamais vous n’avez parlé comme ce matin, jamais vous n’avez eu si bon visage.
– Comme je voulais le dire tout à l’heure, continua Lionel, il me paraît qu’après avoir reçu ce coup de feu, j’ai été transporté dans la maison de Mrs Lechmere. Je reconnais trop bien cet appartement et ces portes pour pouvoir me tromper.
– Bien certainement, Monsieur, Mrs Lechmere vous a fait transporter du champ de bataille chez elle, et c’est, ma foi, une des meilleures maisons de Boston. Il paraît pourtant qu’elle perdrait le droit qu’elle y a s’il vous arrivait quelque chose de sérieux.
– Grâce à une baïonnette ou à une troupe de cavalerie ; mais d’où peut venir une pareille idée ?
– C’est que quand mistress venait ici dans l’après-midi, ce qu’elle faisait, tous les jours avant qu’elle fût malade, je l’entendais souvent se dire à elle-même, que, si vous aviez le malheur de mourir, c’en était fait de toutes les espérances de sa maison.
– Ainsi donc, c’est Mrs Lechmere qui vient me voir chaque jour, dit Lionel d’un air pensif. Je croyais effectivement me souvenir d’avoir vu plusieurs fois une femme près de mon lit, mais il me semblait qu’elle était plus jeune et plus active que ma tante.
– Et vous ne vous trompez pas, Monsieur ; vous avez eu pendant ce temps une garde telle qu’on en rencontre rarement. Je garantis qu’on chercherait en vain dans l’hôpital de Guy à Londres une vieille femme aussi habile qu’elle pour faire un chaudeau ou un posset {51} , et à mon avis le meilleur cabaretier de toute l’Angleterre n’est qu’un âne auprès d’elle pour préparer le négus {52} .
– Ce sont de grands talents ; et qui est celle qui les possède à un si haut degré ?
– Miss Agnès, Monsieur. C’est une garde comme en trouverait difficilement, que miss Agnès Danforth ! quoique je ne puisse dire qu’elle se distingue beaucoup par son affection pour les troupes royales.
– Miss Danforth ! répéta Lionel en baissant les yeux avec un air de désappointement ; j’espère qu’elle n’a pas été seule à se donner tant d’embarras pour moi. Il ne manque pas de femmes dans cette maison. Il semble que de tels soins auraient pu se confier à quelque domestique. Quoi ! Meriton, n’avait-elle personne pour l’aider dans les services qu’elle me rendait ?
– Pardonnez-moi, Monsieur ; vous devez bien croire que je l’aidais autant que je le pouvais ; mais le négus que je faisais n’était pas comparable à celui de miss Agnès.
– On croirait, à vous entendre, que je n’ai fait qu’avaler du vin depuis six mois, dit Lionel avec un peu d’impatience.
– Mon Dieu, Monsieur, vous ne vouliez quelquefois pas boire plein un dé d’un verre qu’on vous présentait, ce que je regardais comme un symptôme fâcheux ; car, comme je le finissais toujours, j’étais sûr que ce n’était pas la faute de la
Weitere Kostenlose Bücher