Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
d’autant plus délicieux qu’il le prenait à la dérobée.
Mille souvenirs se présentèrent en même temps à l’esprit de Lionel, et il se passa quelques instants avant qu’il pût séparer la vérité de ce qui n’était qu’imaginaire, et se rappeler à peu près ce qui lui était advenu pendant le siècle qu’avait duré pour lui sa maladie. Se soulevant sans difficulté sur un coude, il se passa la main une ou deux fois sur le visage et appela Meriton. Le valet s’éveilla sur-le-champ, reconnut la voix de son maître, et, se frottant les yeux comme un homme qui se réveille en sursaut, se hâta de lui répondre.
– Comment donc, Meriton ! dit le major Lincoln, vous dormez aussi profondément qu’un soldat de milice à son poste. Je suppose qu’on vous a mis au vôtre en vous donnant, plutôt deux fois qu’une, la consigne d’être vigilant.
Meriton resta la bouche ouverte, comme s’il eût voulu dévorer les paroles qui sortaient de celle de son maître au lieu de les écouter, et lorsque Lionel eut fini de parler, le valet se frotta les yeux plusieurs fois, mais par un autre motif que la première ; car c’était pour essuyer les larmes qui en sortaient. Enfin il s’écria :
– Dieu merci ! Monsieur, Dieu soit loué ! vous voilà enfin rendu à vous-même, et tout va marcher comme autrefois. Oui, oui, Monsieur, vous irez bien à présent ; vous irez bien pour cette fois. C’est un vrai prodige que cet homme ! c’est le plus grand chirurgien de Londres. Nous retournerons dans Soho-Square à présent, et nous y vivrons en citoyens paisibles. Grâce à Dieu, Monsieur, grâce à Dieu, je vous vois sourire, et j’espère que, si quelque chose n’allait pas à votre gré, vous serez bientôt en état de me jeter un de ces regards de travers que je connais si bien, et qui me font venir le cœur à la bouche, quand je sais que j’ai oublié mon devoir.
Meriton, malgré sa fatuité, avait, un attachement véritable pour son maître, qu’il servait depuis longtemps ; cet attachement s’était encore accru par les soins qu’il lui avait donnés pendant sa maladie, et les larmes de joie qu’il ne pouvait retenir le forcèrent à interrompre les expressions sans suite que ce sentiment lui inspirait. Lionel fut trop touché de cette preuve d’affection pour continuer la conversation, et il passa quelques minutes à mettre ses vêtements du matin, à l’aide de son valet émerveillé de lui voir tant de force. Enfin, s’appuyant sur le bras de Meriton, et enveloppé dans sa robe de chambre, il alla s’asseoir sur le fauteuil que celui-ci venait de quitter.
– Bien, bien, Meriton, dit Lionel ; cela suffit. Oui, j’espère que je vivrai encore pour vous distribuer tour à tour quelques réprimandes et quelques guinées. Mais il me paraît qu’après avoir-reçu ce coup de feu…
– Ce coup de feu, Monsieur ! vous avez été positivement et illégalement assassiné ; car, indépendamment du coup de mousquet, vous avez reçu des coups de baïonnette, et ensuite une compagnie de cavalerie vous a passé sur le corps. Je le tiens d’un soldat de Royal-Irlandais qui était couché à côté de vous sur le champ de bataille, et qui vit encore pour le raconter. C’est un brave et honnête garçon que Térence, et s’il était possible que Votre Honneur fût assez pauvre pour avoir besoin de pension, il ferait serment de vos blessures partout où besoin serait, à la cour du banc du roi ou aux bureaux de la guerre, à l’hôpital de Bridewell ou au palais de Saint-James.
– Je n’en doute pas, je n’en doute pas, dit Lionel en souriant et en passant machinalement la main sur son corps, tandis que Meriton lui parlait des coups de baïonnette ; mais il faut que le pauvre diable ait mis sur mon compte quelques unes de ses blessures ; car je ne puis avouer ni les coups de baïonnette ni le passage d’une compagnie de cavalerie sur mon corps, quoique je reconnaisse la balle.
– Vous la reconnaissez, Monsieur ? vous ne l’avez pas encore vue. Mais je puis vous la montrer, car je la conserve soigneusement, et on la trouvera dans mon nécessaire de toilette pour l’enterrer avec moi.
À ces mots, il tira de sa poche la balle aplatie, et, ajouta en la montrant à son maître avec un air de triomphe :
– Il y a aujourd’hui treize jours qu’elle est dans ma poche, après être restée plus de six mois dans le corps de Votre Honneur, cachée derrière…
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