Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
liqueur si vous ne la buviez pas.
– En voilà bien assez, Meriton ; ne me parlez plus de votre breuvage favori ; ce sujet m’ennuie. Mais, dites-moi, nul autre de mes amis n’est-il venu demander de mes nouvelles ?
– Oh ! pardonnez-moi, Monsieur. Le commandant en chef a envoyé tous les jours un de ses aides de camp, et lord Percy est venu lui-même plus de…
– Ce sont des visites de politesse ; mais j’ai des parents à Boston. Miss Dynevor a-t-elle quitté la ville ?
– Non, Monsieur, répondit Meriton en arrangeant avec beaucoup de sang-froid différentes fioles sur la table ; cette miss Cécile est d’un caractère fort rassis.
– J’espère qu’elle se porte bien ?
– Quel plaisir de vous entendre parler ainsi, et avec cette vivacité ! Oui, Monsieur, elle se porte bien ; du moins je ne la crois pas sérieusement malade ; mais elle n’a pas l’activité et les connaissances de sa cousine miss Agnès.
– Et pourquoi la jugez-vous ainsi, drôle ?
– Parce qu’elle est une lendore, et qu’elle ne met jamais la main à aucun de ces petits ouvrages dont les femmes peuvent s’occuper. Je l’ai vue rester ici des heures entières, Monsieur, sur le fauteuil où vous êtes assis en ce moment, sans faire un seul mouvement, à moins que ce ne fût pour tressaillir quand elle vous entendait soupirer ou vous plaindre. J’ai dans l’idée aussi qu’elle fait des vers ; dans tous les cas, elle aime ce que j’appelle la tranquillité.
– En vérité ! dit Lionel poursuivant la conversation avec un intérêt qui aurait paru remarquable à un meilleur observateur que Meriton ; et quelle raison avez-vous pour soupçonner miss Dynevor de faire des vers ?
– C’est parce qu’elle a souvent un morceau de papier à la main, toujours le même, et que je l’ai vue le lire et le relire si souvent que je suis sûr qu’elle doit le savoir par cœur ; or, j’ai remarqué que c’est ce que font tous les poètes.
– Peut-être était-ce une lettre ? s’écria Lionel avec une vivacité qui fit tomber des mains de Meriton une fiole qu’il essuyait, et qui se brisa sur le plancher.
– Juste ciel, Monsieur ! avec quel feu vous parlez ! c’est précisément comme autrefois !
– C’est que je suis surpris de vous voir si bien au courant des mystères de la poésie, Meriton.
– Il faut de la pratique pour se perfectionner, comme vous le savez, Monsieur, répondit Meriton avec un ton de suffisance, et je ne puis dire que j’en aie beaucoup en ce genre. Cependant j’ai fait une épitaphe pour un petit cochon mort à Ravenscliffe, la dernière fois que nous y étions, et l’on a trouvé assez bons quelques vers que j’ai composés sur un vase qu’avait cassé la femme de chambre de lady Bab, qui donna pour excuse que j’avais voulu l’embrasser ; comme si tous ceux qui me connaissent ne savaient pas que je n’avais pas besoin de casser un vase pour embrasser cette sotte créature.
– Fort bien, dit Lionel, quelque jour, quand j’aurai plus de force, je vous demanderai peut-être la faveur de me lire ces deux chefs-d’œuvre ; mais en attendant descendez à l’office et examinez ce qui s’y trouve, car je sens des symptômes qui annoncent le retour de la santé.
Le valet très-satisfait partit à l’instant et abandonna son maître à ses réflexions. Quelques minutes se passèrent avant que le jeune militaire soulevât sa tête, qui était appuyée sur sa main, et il ne changea d’attitude que parce qu’il crut entendre près de lui le bruit d’un pas léger. Son oreille ne l’avait pas trompé. Cécile Dynevor n’était qu’à quelques pieds de son fauteuil, qui était placé de manière qu’elle ne pouvait l’apercevoir en entrant. On voyait, à la précaution avec laquelle elle marchait, qu’elle s’attendait à trouver le malade où elle l’avait laissé la dernière fois qu’elle l’avait vu, sur le lit de douleur où il était resté étendu pendant si longtemps.
Lionel suivit des yeux ses mouvements pleins de grâce, et vit avec peine la pâleur extraordinaire de ses traits. Mais quand elle eut tiré les rideaux du lit, et qu’elle n’y vit personne, la pensée n’a rien de plus rapide que n’en eut le mouvement qu’elle fit pour se tourner vers le fauteuil. Elle rencontra les yeux de Lionel fixés sur elle avec délices, et brillants d’un feu d’intelligence et de vivacité dont ils avaient été privés depuis
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