Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
avoir besoin d’un guide, pour trouver votre demeure.
– Les rues de Boston me sont familières depuis longtemps, répondit le vieillard ; j’ai vu cette ville s’accroître, des mêmes yeux qu’un père voit grandir son enfant, et mon amour pour elle est vraiment paternel. Il me suffit de me trouver dans un endroit où la liberté est regardée comme le plus grand bien ; peu m’importe sous quel toit ma tête y repose : autant vaut celui-ci qu’un autre.
– Celui-ci ! répéta l’officier en jetant les yeux sur un ameublement qui annonçait la pauvreté ; vous serez plus mal dans cette maison que sur le navire que nous venons de quitter.
– Elle suffira pour tous mes besoins, répondit le vieillard en s’asseyant d’un air calme et en plaçant près de lui une petite valise qu’il portait ; allez à votre palais de Tremont-Street, j’aurai soin que nous nous revoyions.
L’officier avait trop bien appris, pendant le voyage, à connaître le caractère de son compagnon pour lui rien répliquer ; il le salua et sortit de l’appartement, laissant le vieillard la tête appuyée sur sa canne, d’un air rêveur et distrait, et la matrone regardant cet hôte inattendu avec une surprise qui n’était pas sans quelque mélange de terreur.
CHAPITRE III
Les liqueurs parfumées coulent des flacons d’argent, tandis que la porcelaine de la Chine reçoit l’onde fumante : ils récréent à la fois leur odorat et leur palais : de fréquentes libations prolongent de somptueux repas.
POPE. La Boucle de cheveux enlevée.
Le souvenir des injonctions réitérées de sa mère servit à tenir Job en respect, et il ne songea qu’à remplir son message. Dès que l’officier parut, Job se dirigea vers le pont, le traversa, et, après avoir suivi pendant quelque temps le bord de l’eau, il entra dans une rue large et bien bâtie qui conduisait du quai dans la partie haute de la ville. Une fois dans cette rue, Job se mit à marcher avec une grande vitesse, et il était arrivé au milieu lorsque des cris de joie et des éclats de rire, qui partaient d’une maison voisine, attirèrent son attention et l’engagèrent à s’arrêter.
– Rappelez-vous les recommandations de votre mère, lui dit l’officier ; que regardez-vous dans cette taverne ?
– C’est le café anglais, dit Job en secouant la tête ; oui, il est facile de s’en apercevoir au bruit qu’ils y font un samedi soir ; tenez, il est rempli maintenant des officiers de lord Botte {15} ; les voyez-vous à la fenêtre, avec des uniformes si brillants, qu’on dirait autant de diable rouges ? mais demain, lorsque la cloche d’Old-South sonnera, ils oublieront leur maître et leur créateur, les pécheurs endurcis qu’ils sont {16} !
– Drôle ! s’écria l’officier, c’est par trop abuser de ma patience. Allez droit à Tremont-Street, ou laissez-moi, que je cherche à me procurer un autre guide.
L’idiot jeta un regard de côté sur la physionomie irritée de son compagnon ; puis il détourna la tête, et se remit en marche en murmurant assez haut pour être entendu :
– Tous ceux qui ont été élevés à Boston savent comment on y observe le samedi soir {17} , et si c’est à Boston que vous êtes né, vous devriez aimer les usages de Boston.
L’officier ne répondit rien, et comme ils marchaient alors très-rapidement, ils eurent bientôt traversé deux nouvelles rues, King-Street et Queen-Street, et arrivèrent enfin dans celle de Tremont. À peine y étaient-ils entrés que Job s’arrêta, et dit en montrant du doigt un bâtiment qui était près d’eux :
– Vous voyez cette maison avec une cour et des pilastres, et une grande porte cochère ? eh bien ! c’est celle de Mrs Lechmere. Tout le monde dit que c’est une grande dame, mais je dis, moi, que c’est dommage que ce ne soit pas une meilleure femme.
– Et qui êtes-vous pour oser parler si hardiment d’une dame qui est si fort au-dessus de vous ?
– Moi ? dit l’idiot en regardant fixement et d’un air de simplicité celui qui l’interrogeait ; je suis Job Pray, c’est le nom qu’on me donne.
– Eh bien ! Job Pray, voici une couronne pour vous. La première fois que vous servirez de guide à quelqu’un, soyez attentif. Je vous dis, mon garçon, de prendre cette couronne.
– Job n’aime pas les couronnes. On dit que le roi porte une couronne, et que cela le rend fier et dédaigneux.
– Il faut en effet que le
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