Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
trace d’hommes ni d’animaux.
Avec la même rapidité qu’elle était accourue à la porte, Cécile s’en éloigne en tressaillant, frappée de cette scène lugubre où tout semble lui parler encore de la mort de sa grand’mère. En un instant elle est remontée dans la chambre, et elle en examine les moindres recoins avec une inquiétude toujours croissante, dans l’espoir d’y retrouver son mari. Mais ses forces, entretenues jusque alors par l’espèce de transport qui l’agitait, finissent par s’épuiser. Elle ne peut supporter l’idée que Lionel l’ait abandonnée dans le moment où il savait qu’elle avait le plus besoin de secours, et elle ne peut s’empêcher d’associer dans son esprit son absence mystérieuse aux sinistres présages de la nuit. L’infortunée serre ses mains l’une contre l’autre dans l’agonie du désespoir, pousse un grand cri en appelant sa cousine, et tombe sur le plancher dans un état d’insensibilité complète.
Agnès surveillait les apprêts du repas ; elle voulait qu’il fût digne en tout des Lechmere ; et qu’il fit honneur à sa cousine aux yeux de son seigneur et maître. Malgré le bruit des domestiques empressés à exécuter ses ordres, le cri perçant de Cécile retentit jusque dans la salle à manger, suspendit tous les mouvements, et glaça tous les cœurs.
– C’est mon nom ? dit Agnès ; qui m’appelle ?
– S’il était possible que l’épouse de mon maître poussât un pareil cri, reprit Meriton avec une emphase convenable, je jurerais que c’est milady.
– C’est Cécile ! c’est Cécile ! s’écria Agnès qui déjà s’était élancée hors de la chambre ! oh ! je redoutais ce mariage précipité.
Les domestiques la suivirent avec empressement, et la fatale vérité fut alors connue de toute la maison. Le corps de Mrs Lechmere fut découvert à leur vue ; ils crurent tous que c’était la cause de l’état où ils voyaient la jeune épouse.
Plus d’une heure s’écoula avant que les soins les plus assidus eussent pu rendre à Cécile assez de connaissance pour qu’il fût possible de lui adresser quelques mots. Alors sa cousine profita d’un instant où elle se trouvait seule avec elle pour prononcer le nom de son mari. Cécile l’entendit avec une joie soudaine, mais regardant autour de la chambre d’un air égaré, comme si ses yeux le cherchaient, elle serra ses mains contre son cœur, et retomba dans cet état d’insensibilité dont on avait eu tant de peine à la tirer. Agnès crut deviner alors la véritable cause de son désespoir, et elle sortit de la chambre dès qu’elle eut réussi encore une fois à lui faire reprendre ses sens.
Agnès Danforth n’avait jamais eu pour sa tante cette confiance et ce respect sans bornes qui purifiaient les affections de la petite-fille de la défunte. Elle avait de plus proches parents auxquels elle était attachée sincèrement, et n’étant pas aveuglée par la tendresse, elle remarquait ces traits d’égoïsme et d’insensibilité qui étaient propres à Mrs Lechmere. Si donc elle avait consenti à s’exposer aux privations et aux dangers d’un siège, c’était uniquement par attachement pour sa cousine, qui sans elle aurait eu peine à supporter l’ennui de sa solitude.
Par suite de cette disposition, la mort inattendue de Mrs Lechmere était pour elle un sujet de deuil, mais non pas de désespoir. Sans doute si l’état de Cécile ne lui eût pas causé autant d’inquiétude, elle se fût retirée pour pleurer librement une personne qu’elle connaissait depuis si longtemps, et que, dans la sincérité de son cœur, elle croyait si peu préparée à ce passage solennel. Mais elle vit qu’il ne s’agissait point de répandre de vaines larmes, qu’il fallait agir, et passant dans le parloir, elle fit dire à Meriton de venir lui parler.
Lorsque le valet parut, elle affecta un sang-froid bien éloigné de ce qu’elle éprouvait, et le pria de chercher son maître et de lui dire que miss Danforth désirait le voir un moment sans délai. Pendant que Meriton était allé s’acquitter de sa commission, elle s’efforça d’appeler toute son énergie pour se tenir prête à tout événement.
Cependant les minutes s’écoulaient, et Meriton ne revenait point. Elle se leva, et s’approchant sans bruit de la porte, elle prêta l’oreille. Elle crut entendre parcourir les parties les plus reculées de la maison, d’un pas précipité
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