Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
d’avoir roulé quelques mois sur le sein des mers. Alors vous pouvez le laisser dormir, et vous endormir à côté, si bon vous semble.
– Un évêque ne pourrait donner à son sommelier un avis plus orthodoxe pour faire mûrir le vin, répliqua son adversaire.
Un autre regard expressif du général en chef réprima de nouveau son enjouement malin, et Howe profita du moment de silence pour dire avec l’air franc d’un hôte libéral :
– Comme le mouvement nous est refusé quant à présent, le seul moyen que je puisse imaginer pour l’empêcher de rester sur son lest, c’est de le boire.
– D’ailleurs, ajouta Burgoyne en faisant une inclination gracieuse au marin à demi offensé, nous sommes menacés d’une visite de M. Washington et de ses compagnons altérés, et ils pourraient nous épargner tout embarras à cet égard, si nous ne prenions l’avance sur eux. À votre santé donc, monsieur Graves, et j’espère que vous n’hésiterez pas à me faire raison, quand ce ne serait que pour tromper les rebelles dans leur attente.
– De tout mon cœur, répondit l’amiral en s’adoucissant et en faisant un signe de tête à Burgoyne d’un air de bonne humeur ; j’en ferais bien davantage pour ôter aux rebelles tout espoir de pillage. Mais, si ce breuvage précieux court réellement quelque risque, il n’y a qu’à l’envoyer sur mon bord ; fiez-vous à moi, je trouverai à le placer, quand ce devrait être dans ma cabane. Je vous réponds que je commande une forteresse que ni Yankies, ni Français, ni Espagnols, n’oseraient assiéger, si ce n’est à une distance respectueuse.
Les officiers de l’armée de terre prirent un air grave, échangèrent entre eux quelques regards expressifs, mais gardèrent le silence, comme si l’objet qui occupait leurs pensées était d’une nature trop délicate pour en parler franchement en présence de leur chef. Enfin le commandant en second, à qui son supérieur en grade battait encore froid, et qui jusqu’alors n’avait pris aucune part à la conversation, hasarda une remarque, mais avec l’air de gravité et de méfiance d’un homme qui doutait qu’elle fût bien reçue.
– Nos ennemis s’enhardissent à mesure que la saison avance, dit-il, et il n’y a pas de doute qu’ils ne nous donnent de l’occupation quand l’été sera arrivé. On ne peut nier qu’ils ne choisissent très-bien les positions où ils placent des batteries, surtout la dernière sur le bord de l’eau. Je ne suis pas même sans craindre qu’ils n’aient des vues sur les îles, ce qui rendrait hasardeuse la situation des vaisseaux.
– Des vues sur les îles ! chasser la flotte de son ancrage ! s’écria le vieux marin avec l’air du plus grand étonnement. Je regarderai comme heureux pour l’Angleterre le jour où Washington et sa canaille oseront se montrer à portée de notre mitraille.
– Que Dieu nous fasse la grâce de nous mettre en face de ces coquins, la baïonnette au bout du fusil, en rase campagne, à la fin de nos quartiers d’hiver ! dit Howe ; je dis quartiers d’hiver, Messieurs, car je présume qu’aucun de vous ne peut considérer cette armée comme assiégée par un attroupement de paysans armés. Nous occupons la ville, et ils occupent la campagne ; mais quand le moment convenable en sera arrivé… Eh bien ! Monsieur, que me voulez-vous ?
Il se retourna pour adresser ces mots à un domestique qui venait d’entrer, et qui, depuis quelques instants, était debout derrière lui, dans une attitude respectueuse, attendant que son maître jetât les yeux sur lui. Il répondit à la question du général à voix basse, et en se pressant comme s’il eût désiré n’être entendu que de lui, et qu’il eût senti en même temps qu’il ne lui convenait pas de parler ainsi à son maître. La plupart des voisins du général détournèrent la tête par politesse ; mais le vieux marin, qui était trop près de lui pour être tout à fait sourd, entendit les mots une dame ; et comme il avait caressé la bouteille d’un peu près, c’en fut assez pour exciter toute sa gaieté. Frappant sur la table avec la main, il s’écria avec une liberté qu’aucun autre que lui n’aurait osé se permettre :
– Une voile ! une voile ! de par saint George, une voile ! Et sous quel pavillon, l’ami ? celui du roi, ou celui des rebelles ? Il y a eu ici quelque méprise ! Le cuisinier a été en retard ou la dame s’est
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