Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
trop pressée. Ah ! ah ! ah ! Courage, Messieurs de l’armée de l’île, vous vous en donnez à cœur joie.
Le vieux marin était enchanté de sa découverte et encore plus de ses plaisanteries. Il jouit pourtant seul du plaisir de son triomphe, car tous les militaires gardèrent le silence, feignirent de ne pas comprendre ses allusions, et se bornèrent à échanger entre eux quelques coups d’œil malins à la dérobée. Howe se mordit les lèvres avec un dépit visible, et ordonna au domestique, d’un ton sévère, de répéter son message d’une voix plus intelligible.
– Une dame demande à voir Votre Excellence, dit le valet en tremblant, et elle vous attend dans la bibliothèque.
– Au milieu des livres ! s’écria l’amiral. Cela vous conviendrait mieux, mon ami le bel esprit. Et dites-moi, l’ami, est-ce une jeune et jolie fille ?
– À la légèreté de sa marche, Monsieur, répondit le domestique, je suis porté à la croire jeune ; mais elle avait le visage caché sous un grand capuchon de soie.
– Ah ! ah ! la demoiselle vient voilée dans la maison du roi ! Diable ! Howe, il paraît que la modestie commence à devenir une vertu rare chez vous autres de l’armée de terre !
– Le cas est clair contre vous, général, dit Burgoyne en souriant, car vous voyez que le domestique lui-même a remarqué de la légèreté. Et, faisant un mouvement comme pour se lever, il ajouta : – C’est sans doute quelque supplique qu’on veut vous présenter pour obtenir quelque secours ou une permission de sortir de la ville. Permettez-moi d’aller m’en informer et de vous éviter le désagrément d’être obligé de faire un refus.
– Point du tout, dit Howe en se levant avec une vivacité qui prévint le mouvement plus réfléchi de Burgoyne, je ne serais pas digne de la place que j’occupe, si je ne pouvais prêter l’oreille dans l’occasion à une pétition. Messieurs, comme il s’agit d’une dame, je crois pouvoir compter sur votre indulgence. Amiral, je vous recommande mon sommelier ; c’est un homme instruit, et il peut vous rendre compte de toutes les croisières qu’a faites cette bouteille depuis son départ de l’île de Madère.
Il salua ses convives, et sortit d’un pas plus précipité que sa dignité ne semblait l’exiger. À peine était-il entré dans le vestibule qu’il entendit un autre accès de gaieté du vieil amiral ; mais elle ne fut point partagée, et les militaires firent tomber la conversation sur un autre sujet. En entrant dans sa bibliothèque, Howe se trouva en présence de la dame qui occupait toutes les pensées de ceux qu’il venait de quitter, malgré leur indifférence apparente, et qui exerçait en ce moment leur imagination. S’avançant vers elle sur-le-champ avec l’air libre et aisé d’un militaire qui ne connaît pas de supérieur, il lui dit avec une politesse un peu équivoque :
– À quoi dois-je l’honneur de cette visite, Madame ? par quel hasard une dame, dont l’extérieur prouve qu’elle doit avoir des amis à ses ordres en toute occasion, a-t-elle pris la peine de venir me rendre visite elle-même ?
– Parce que je viens vous supplier de m’accorder une grâce qui pourrait être refusée si elle était demandée froidement, répondit une voix douce et tremblante partant d’une bouche à demi cachée sous un grand capuchon. Comme le temps me manque pour remplir les formes d’usage, j’ai pris le parti de venir vous adresser ma demande moi-même pour éviter tout délai.
– Et certainement une dame telle que vous a bien peu de raisons pour craindre un refus, dit Howe faisant pour se montrer galant une tentative qui aurait mieux convenu à l’officier qui lui avait proposé de le suppléer. En parlant ainsi il s’approcha davantage, et ajouta en lui montrant son capuchon :
– Ne serait-il pas à propos d’appuyer votre requête par la vue d’un visage qui m’apprendra, sûrement mieux que ne pourraient le faire toutes les paroles, à qui j’ai l’honneur de parler et quelle est la nature de l’affaire qui vous amène ?
– Je suis une femme qui cherche son mari, répondit la dame en relevant le capuchon de sa mante et en montrant aux regards hardis du général les traits aimables et modestes de Cécile. Elle se décida sur-le-champ à annoncer ainsi qui elle était, en voyant les yeux de Howe fixés sur elle avec un air de liberté auquel elle n’était pas accoutumée. Mais
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