Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
symétriques. On n’apercevait dans la ville aucune apparence d’alarmes ; au contraire, les lumières qui y brillaient encore disparaissaient successivement, malgré la canonnade qui grondait sans discontinuer à l’occident de la péninsule, et il était probable que Howe et ses compagnons n’avaient pas encore terminé l’orgie dans laquelle Cécile les avait laissés environ deux heures auparavant.
Mais tandis qu’à l’exception des batteries qui vomissaient le feu, tout paraissait, dans l’éloignement, enseveli dans le silence et le sommeil, ce qui se passait autour de Cécile annonçait la vie et l’activité. Des parapets s’élevaient sur la crête de la hauteur ; on remplissait des barils de terre et de sable ; on portait des fascines dans tous les endroits où l’on en avait besoin ; et cependant le silence n’était troublé que par le bruit des pioches qui creusaient la terre, des cognées qui abattaient des arbres, l’orgueil des vergers voisins, et par des ordres qu’on donnait à voix basse aux travailleurs. La nouveauté de cette scène fit oublier un instant à Cécile ses inquiétudes. De temps en temps quelques partis ou quelques individus isolés s’approchaient d’elle, s’arrêtaient un moment pour considérer des traits aimables et expressifs auxquels la clarté de la lune donnait un nouveau caractère de douceur, et se retiraient en silence pour réparer, en redoublant de travail, l’oubli momentané de leurs devoirs.
Enfin le garde reparut et annonça l’arrivée du général qui commandait ce poste. C’était un homme de moyen âge, paraissant avoir beaucoup de calme et de sang-froid, ayant un costume à demi militaire, mais ne portant pas d’autres marques extérieures de son rang que la cocarde cramoisie qui indiquait son grade, et qui décorait un des plus grands chapeaux à cornes qu’on portât à cette époque.
– Vous nous trouvez au milieu de nos travaux, lui dit-il en souriant, quand il fut près d’elle, et vous me pardonnerez le délai que j’ai mis à me rendre près de vous. On dit que vous avez quitté la ville ce soir.
– Il y a une heure.
– Et Howe ! songe-t-il à la manière dont nous nous proposons de l’amuser ce matin ?
– Il y aurait de l’affectation dans une femme à refuser de répondre à des questions sur les vues du général anglais ; mais je me flatte que vous m’excuserez si je vous dis que dans la situation où je suis je voudrais que vous m’épargnassiez même la peine d’avoir à faire l’aveu de mon ignorance.
– Je reconnais mon tort, répondit l’officier sans hésiter. Après quelques instants de réflexion il ajouta : – Cette nuit n’est pas une nuit ordinaire, jeune dame, et il est de mon devoir de vous faire conduire devant le général qui commande cette aile de l’armée. Il est possible qu’il juge à propos de faire part de votre détention au commandant en chef.
– C’est lui que je cherche, Monsieur ; c’est à lui que je désire parler.
Il la salua, donna ses ordres à un officier subalterne, se retira, et fut bientôt perdu dans la foule de ceux qui travaillaient sur le sommet de cette hauteur. Le nouveau conducteur de Cécile lui dit qu’il était prêt à partir. Elle jeta un dernier coup d’œil sur la calme splendeur de la baie, sur les toits tranquilles de Boston, sur les hommes qu’elle entrevoyait sur une éminence voisine et qui étaient occupés des mêmes travaux que ceux qui couvraient celle sur laquelle elle se trouvait ; et serrant sa mante autour d’elle, elle descendit de la colline avec le pas léger de la jeunesse.
CHAPITRE XXX
Les vallons rebelles sont entourés d’arbres rebelles ; les bois lointains, les montagnes et les flots font entendre des échos rebelles.
La bataille de Kegs.
L’énorme cocarde blanche qui couvrait presque tout un côté du petit chapeau de son nouveau conducteur, fut le seul indice qui apprit à Cécile qu’elle était confiée aux soins d’un homme qui occupait le grade de capitaine parmi les colons armés pour la défense de leurs droits. Toutes les autres parties de son costume n’avaient rien de militaire, si l’on en excepte un grand sabre suspendu à son côté, et dont la garde en argent, la dimension formidable, pouvaient faire croire qu’il avait été porté par quelqu’un de ses ancêtres dans les anciennes guerres des colonies. Celui qui en était alors propriétaire n’avait pourtant pas l’humeur
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