Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
l’idée qu’il joue d’aussi mauvais tours à un roi qu’à un savetier.
– Quoique je puisse penser de la conduite de ses ministres, il m’est toujours désagréable d’entendre discuter les qualités personnelles de mon souverain.
– Je n’ai pas dessein de vous offenser ; mais, quand la vérité est la première pensée d’un homme, il est tout naturel qu’elle se fasse entendre.
Et après cette apologie, faite d’un air gauche, il se détourna en homme peu satisfait de lui-même et garda le silence.
Pendant ce temps le chef avait tenu une courte consultation avec deux de ses compagnons, et se rapprochant de Cécile, il lui fit connaître le résultat des délibérations de leur triple sagesse.
– Attendu toutes les circonstances, j’ai décidé, dit-il, parlant à la première personne par déférence pour son rang, quoique dans le fait il eût consenti à changer d’opinion pour prendre celle de ses deux conseillers ; j’ai décidé de vous faire conduire devant l’officier-général le plus voisin, sous la garde de ces deux hommes, qui vous montreront le chemin. Ils connaissent le pays, et il n’y a pas de danger qu’ils se trompent de route.
Cécile fit une révérence pour indiquer à l’officier sa soumission entière aux ordres qu’il lui intimait, et lui dit qu’elle désirait se mettre en marche le plus tôt possible. L’officier eut encore une courte conférence avec les deux guides, et elle se termina par un ordre qu’il donna au reste du détachement de se préparer à partir. Mais avant le départ, un des guides, ou pour mieux dire un des gardes chargés de les escorter, s’approcha de Meriton et lui dit :
– Comme nous ne serons que deux contre deux, l’ami, n’est-il pas à propos de voir ce que vous pouvez porter sur vous ? cela peut prévenir les querelles et les difficultés. Je me flatte que vous voyez que ma proposition est raisonnable et que vous n’avez pas d’objections à y faire.
– Pas la moindre, Monsieur, pas la moindre, répondit le valet tremblant en lui présentant sa bourse sans hésiter un instant. Elle n’est pas bien lourde, mais ce qu’elle contient est d’excellent or d’Angleterre et je crois que vous en faites quelque cas, vous autres rebelles qui ne voyez que du papier.
– Quelque cas que nous eu puissions faire, nous ne sommes pas gens à le voler. Il ne s’agit pas d’argent ; je désire voir si vous avez des armes.
– Mais comme malheureusement je n’ai pas d’armes à vous donner, Monsieur, ma bourse ne peut-elle en tenir lieu ? Je vous assure qu’il s’y trouve dix guinées de bon poids, sans parler de quelques pièces d’argent.
– Allons, allons, Allen, dit le second garde, il me semble qu’il n’importe guère que monsieur ait des armes ou non. Son compagnon, qui semble mieux comprendre ce dont il s’agit, n’en a aucune, et, étant sûrs de l’un d’eux, je crois que nous pouvons nous fier à l’autre.
– Je vous assure, dit Cécile, que nos intentions sont très-pacifiques, et que votre mission ne sera nullement difficile.
Les deux guides écoutèrent avec beaucoup de déférence les doux sons de la voix de Cécile, et au bout de quelques instants les deux partis se séparèrent. Le détachement, conduit par l’officier, gravit la montagne, et les guides de Cécile prirent un chemin qui tournait à la base, en se dirigeant vers l’isthme qui joignait les hauteurs aux campagnes adjacentes. Ils marchaient avec rapidité, mais plusieurs fois ils demandèrent à Cécile si cette marche ne la fatiguait pas, en lui offrant de la ralentir si elle le désirait. Sous tout autre rapport ils ne faisaient aucune attention à elle, mais ils s’occupaient beaucoup plus sérieusement de ses compagnons, à chacun desquels l’un d’eux s’était attaché, ayant toujours les yeux fixés sur lui avec surveillance et précaution.
– Vous semblez avoir froid, l’ami, dit Allen à Meriton ; cette nuit est pourtant assez agréable pour une première semaine de mars.
– Je suis gelé jusqu’aux os, répondit le valet avec un frisson qui semblait prouver la vérité de son assertion ; ce climat d’Amérique est véritablement glacial, surtout la nuit ; sur mon honneur, je ne me souviens pas d’avoir jamais senti un tel froid au cou.
– Prenez ce mouchoir, dit Allen en lui en donnant un qu’il prit dans sa poche, et faites-en une seconde cravate, car j’ai la fièvre d’entendre vos
Weitere Kostenlose Bücher