Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
s’écria le digne avocat de la liberté en les poursuivant aussi vite que son âge et ses forces le lui permettaient, dites-moi donc, est-ce que vous étiez trois quand je vous ai ramassés sur la route ?
Les fugitifs entendirent les cris du vieux fermier ; mais, comme on peut se l’imaginer, ils ne jugèrent pas à propos de s’arrêter pour lui répondre. Un instant après, un bruit de roues annonça l’approche d’autres voitures qui s’en retournaient. Les cris et les imprécations qui partirent contre le chariot sans conducteur qui embarrassait la route rappelèrent le vieillard à son poste, et Lionel avec ses compagnons n’était pas encore assez loin pour ne pas entendre le commencement de la narration qu’il faisait de toute l’affaire. On ne songea pourtant pas à les poursuivre, les voituriers étant plus pressés de retourner chez eux que tentés de courir après de prétendus voleurs pour l’arrestation desquels nulle récompense n’était promise.
Après une courte explication, Ralph fit faire à ses compagnons, un assez long circuit pour les conduire sur les rives de la baie. Là, ils trouvèrent, cachée dans les roseaux, une petite barque que Lionel reconnut pour être celle dont Job Pray se servait quand il voulait pêcher. Ils y entrèrent sur-le-champ, et Lincoln, saisissant les rames et profitant de la marée favorable, se dirigea vers Boston, dont les clochers se montraient dans l’éloignement.
L’ombre de la nuit luttait encore contre la clarté naissante de l’aurore quand l’éclat d’une flamme soudaine illumina tout l’horizon, et le bruit du canon, qui avait cessé depuis quelque temps, se fit entendre de nouveau. Mais pour cette fois le son partait du côté de la mer, et un nuage de fumée, qui s’élevait au-dessus du havre, annonça que les vaisseaux venaient de prendre part à la contestation. Cette canonnade soudaine détermina Lionel à passer entre les îles, car le château et les batteries méridionales de la ville se réunirent bientôt aux navires pour faire tonner leur vengeance contre les Américains, qui occupaient les hauteurs de Dorchester. Tandis que le frêle esquif passait à peu de distance d’une grande frégate, Cécile y reconnut le jeune midshipman qui l’avait escortée la soirée précédente, quand elle avait quitté Boston. Il était debout sur le couronnement de la poupe, et regardait avec un air de surprise ces hauteurs dont il avait prédit que la possession coûterait tant de sang.
En un mot, tandis qu’il faisait jouer vigoureusement les rames, Lionel vit commencer la répétition de la scène des Breeds, les batteries et les vaisseaux faisant les plus grands efforts pour déloger les colons des hauteurs où ils s’étaient établis avec tant de promptitude et de secret. Au milieu du tumulte et de l’agitation du moment, la petite barque passa sans que personne y fit attention, et les vapeurs du matin n’étaient pas encore dissipées, quand, après avoir passé le long des quais de Boston, elle toucha terre près du vieux magasin, dans l’endroit où elle avait été si souvent amarrée par le malheureux idiot qui en était propriétaire.
CHAPITRE XXXIII
Un noble cœur vous quitte. Adieu, bon prince.
SHAKESPEARE.
Lionel aida Cécile à monter l’escalier qui conduisait sur le quai, et, toujours suivis de leur vieux compagnon, ils se trouvèrent bientôt sur le pont qui joignait les deux jetées formant l’entrée du bassin.
– C’est ici que nous nous séparons, dit-il à Ralph ; dans une autre occasion vous reprendrez, je l’espère, la suite de votre fatale histoire.
– Nous ne pouvons en trouver une meilleure, répondit Ralph le temps, le lieu, la situation de la ville, tout nous favorise.
Lionel jeta les yeux sur ce qui se passait autour de lui dans la place. La lumière encore douteuse du matin lui fit voir quelques bourgeois alarmés, qui causaient rassemblés en petits groupes, et quelques soldats à demi vêtus, qui couraient précipitamment du côté d’où partait le bruit de la canonnade. Chacun était si exclusivement occupé de l’affaire du moment, que personne ne fit attention à eux.
– Le temps, le lieu, répéta-t-il lentement.
– Sans doute, répondit Ralph. Quel instant est plus propice pour qu’un ami de la liberté puisse passer au milieu de ces mécréants soudoyés sans attirer leurs regards, que celui où la terreur vient d’interrompre leur sommeil ? et quant au lieu,
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