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Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)

Titel: Lionel Lincoln (Le Siège de Boston) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Fenimore Cooper
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femmes suffiraient pour arrêter les deux régiments auxquels un orgueilleux Anglais se vantait de pouvoir faire traverser toutes les colonies, depuis le Hampshire jusqu’à la Géorgie. Eh bien ! êtes-vous bien placés ?
    – Parfaitement, répondit Lionel, qui, pendant ce temps, avait arrangé les bottes de foin de manière à creuser au milieu deux places pour sa compagne et lui ; vous pouvez partir quand il vous plaira.
    Le charretier, qui n’était rien moins que le propriétaire d’une centaine d’acres de bonnes terres dans les environs, leva en l’air son aiguillon, fit partir ses bœufs, et reprit sa marche lente. À l’instant où le chariot se mettait en mouvement, Lionel aperçut à quelque distance le vieux Ralph, qui, à ce qu’il paraît, n’avait pas voulu les perdre de vue, et qui, après lui avoir fait un signe de la main, traversa la route, et disparut bientôt dans l’éloignement, comme un fantôme qui s’évanouit dans les airs.
    Cependant ceux qui poursuivaient les fugitifs n’étaient pas restés dans l’inaction : on entendait leurs voix retentir de tous les côtés, et, à la clarté de la lune, on voyait comme des ombres courir dans les champs. Pour ajouter à l’embarras de leur situation, Lionel s’aperçut, quand il était trop tard, que pour aller à Dorchester il fallait passer par Cambridge, c’est-à-dire par le village qu’ils venaient de quitter. Quand il reconnut qu’ils allaient y entrer, il aurait volontiers abandonné le chariot, si la prudence le lui eût permis, au milieu des soldats en désordre qui remplissaient tous les environs. En pareille circonstance, ce que Cécile et lui trouvèrent de mieux, à faire fut de garder un profond silence et de se cacher autant qu’ils le purent au milieu du foin sur lequel ils étaient assis. Contre la juste espérance que leur avait fait concevoir le patriotisme impatient du vieux fermier, celui-ci, au lieu de suivre la grand’rue, changea de direction pour en prendre une détournée, et s’arrêta précisément devant l’auberge dans laquelle Cécile avait été conduite en y arrivant.
    Le même bruit et le même tumulte régnaient toujours à la porte. L’arrivée du chariot y attira une nouvelle foule d’oisifs, et les deux époux, fort mal à leur aise sur le haut de la voiture, furent forcés d’entendre la conversation qui s’ensuivit :
    – Eh bien ! mon vieux, à votre âge vous travaillez encore pour le congrès, s’écria un homme tenant un pot à la main. Tenez, humectez-vous le gosier, vénérable père de la liberté, car vous êtes trop vieux pour qu’on vous appelle son fils.
    – Vraiment, on pourrait m’appeler son père et son fils. J’ai dans le camp quatre fils, et sept petits-fils par-dessus le marché, et cela ferait onze bons mousquets dans la famille si nous avions pu nous en procurer plus de cinq ; mais les six autres ont quatre canardières et un fusil à deux coups, et Aaron, le plus jeune, a un pistolet d’arçon aussi bon, je crois, qu’aucun de ceux qu’on puisse avoir dans toute la colonie. Mais quel tapage vous faites aujourd’hui ! vous dépensez plus de poudre qu’on n’en a usé à Bunker-Hill !
    – C’est une ruse de guerre, mon brave homme : c’est pour que les troupes du roi ne songent pas à regarder du côté de Dorchester.
    – Quand elles y regarderaient, elles ne pourraient pas voir bien loin puisqu’il fait nuit. Mais dites-moi donc, car je suis vieux et j’ai un grain de curiosité, est-il vrai, comme ma femme me l’a dit, que Howe vous jette ses carcasses {72} dans le camp avec ses mortiers ? c’est, selon moi, une histoire irréligieuse.
    – Vrai comme l’Évangile.
    – Eh bien ! on ne saurait dire jusqu’où la méchanceté de l’homme peut porter l’oubli de Dieu et le mépris de ses semblables. Tout ce qu’on aurait pu me dire sur Howe, je l’aurais cru, excepté cela. Mais, comme il ne reste guère d’habitants dans la ville, je suppose qu’il se sert de ses soldats tués ?
    – Certainement, lui répondit le soldat en faisant un clin d’œil à ses camarades ; la bataille de Breeds lui a fourni des munitions pour tout l’hiver.
    – C’est terrible, terrible ! Voir le corps d’un de ses semblables fuir dans les airs après que son âme est allée subir son jugement {73}  ! La guerre est un cruel métier ! mais qu’est-ce que l’homme sans liberté ?
    – À propos de fuir, mon vieux, avez-vous vu

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