Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
heure ne sont nullement propres à engraisser un homme. J’étais en robe de chambre, comme vous supposez bien, Lionel, car nous ne nous amusons point, nous, pour ces sortes d’épreuves, à nous surcharger de bottes et de ceinturon, comme vous autres qui ne pesez pas plus qu’une plume.
– Mais je m’étonne que le colonel Nesbitt ait pu consentir à votre nomination, dit Lionel ; il aime que ses officiers aient un peu de tenue, et qu’ils figurent.
– Eh bien ! justement, il a trouvé son homme, s’écria le capitaine, et je vous assure qu’à la parade je figure plus qu’aucun officier du régiment. Mais il faut que je vous dise un secret à l’oreille : il y a eu ici dernièrement une vilaine affaire, dans laquelle le 47 e n’a pas cueilli de nouveaux lauriers ; je veux parler de cet indigène qu’on s’est amusé à enduire de poix et à rouler ensuite dans des plumes, à cause d’un vieux mousquet rouillé.
– J’ai déjà ouï parler de cette affaire, dit Lionel, et hier soir j’ai entendu avec peine des soldats qui commettaient quelques excès s’autoriser de l’exemple de leur commandant.
– Chut ! c’est un sujet délicat. Eh bien ! donc, cette affaire de poix et de goudron a mis le colonel en assez mauvaise odeur à Boston, surtout parmi les femmes ; aussi sommes-nous tous au plus mal dans leurs bonnes grâces. J’ai cependant le bonheur de faire exception, et il n’y a pas dans toute l’armée un officier qui se soit fait plus d’amis dans la place que votre humble serviteur. J’ai su faire valoir ma popularité, qui n’est pas un médiocre avantage dans les circonstances actuelles ! et, à force de promesses et de protections secrètes, j’ai obtenu une compagnie, faveur à laquelle le rang que j’occupais dans la cavalerie me donnait, comme vous savez, des droits incontestables.
– Voilà une explication tout à fait satisfaisante, et je regarde l’entier succès de vos démarches comme une preuve certaine que la paix ne sera pas troublée. Gage n’aurait certainement pas autorisé votre changement de corps s’il avait en vue quelques opérations qui demandassent de l’activité.
– Ma foi, je crois que vous avez plus d’à moitié raison. Voilà plus de dix ans que les Yankies {27} pérorent, qu’ils prennent des résolutions, qu’ils les approuvent, comme ils disent ; et à quoi tout cela a-t-il abouti ? Ce n’est pas que les choses n’aillent tous les jours de mal en pis ; mais Jonathas {28} est une véritable énigme pour moi. Vous vous souvenez que quand nous étions ensemble dans la cavalerie… Dieu me pardonne le suicide que j’ai commis en passant dans la ligne ; ce que je n’aurais jamais fait si j’avais pu trouver dans toute l’Angleterre un cheval qui eût l’allure douce et qui ne démontât pas son cavalier… Mais enfin, vous vous souvenez qu’alors, si la populace était mécontente d’une nouvelle taxe ou de la stagnation des affaires, elle s’ameutait aussitôt, brûlait une ou deux maisons, mettait en fuite un magistrat, allait même parfois jusqu’à assommer un constable… Alors nous arrivions au grand galop, nous brandissions nos épées, et nous avions bientôt balayé la place de toute cette canaille en guenilles. Les juges faisaient le reste, et nous avions tout l’honneur d’une victoire qui nous avait mis un peu hors d’haleine, mais qui, en revanche, avait doublé notre appétit. Mais ici les affaires prennent une tournure bien différente.
– Et quels sont les symptômes les plus alarmants qui se manifestent à présent dans les colonies ? demanda le major Lincoln d’un ton d’intérêt.
– Ces êtres singuliers rejettent leurs aliments naturels pour soutenir ce qu’ils appellent leurs principes ; les femmes renoncent au thé, et les hommes abandonnent leurs pêcheries. C’est à peine si de tout le printemps on a apporté au marché même un canard sauvage, à cause de ce bill contre le port de Boston. Et leur obstination augmente de jour en jour. Grâce au ciel ! si l’on en vient aux coups, nous sommes assez forts pour nous ouvrir un passage jusqu’à quelque endroit du continent où les provisions soient plus abondantes ; et l’on dit d’ailleurs qu’il va nous arriver de nouveaux renforts.
– Si l’on en vient aux coups, ce qu’à Dieu ne plaise ! dit le major Lionel ; nous serons assiégés où nous sommes maintenant.
– Assiégés ! s’écria Polwarth qui
Weitere Kostenlose Bücher