Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
de Charles, et quoiqu’il ne fût pas impliqué dans le projet des régicides, il partit pour la province de la baie de Massachusetts, dans les premières années du règne de ce prince.
Il ne fut pas difficile à un homme du rang et de la réputation de Reginald Lincoln d’obtenir des emplois honorables et lucratifs dans les plantations ; et lorsque l’ardeur qu’il avait mise jusqu’alors à s’occuper des matières spirituelles se fut un peu calmée, il ne manqua pas de donner une partie convenable de son temps aux soins des choses temporelles. Néanmoins, jusqu’au jour de sa mort, il continua à être un austère et zélé fanatique, semblant en apparence mépriser trop les vanités du monde pour permettre à sa chaste imagination de s’entacher de ces souillures, même pendant qu’il se soumettait à remplir les devoirs que lui imposait la société. Malgré cette élévation d’esprit, le jeune Lionel, à la mort de son père, se trouva en possession d’une jolie fortune, qui était sans doute le fruit des économies qu’avait faites Reginald tout en disant des choses sublimes sur le renoncement aux biens de ce monde.
Lionel suivit les traces de son digne père, et continua à amasser des honneurs et des richesses ; mais, trompé dans ses premières affections, par suite de cette sensibilité exaltée dont nous avons déjà parlé, et que son père lui avait transmise, il resta longtemps avant de prendre une compagne. Son choix fut contraire à celui qu’on devait attendre d’un homme d’un certain âge, qui savait calculer ; il s’unit à une jeune personne aimable et gaie, du parti des épiscopaux, qui ne lui apporta guère en dot que sa beauté et le noble sang qui coulait dans ses veines. Il en avait eu quatre enfants, trois fils et une fille, lorsqu’il alla rejoindre son père dans le tombeau. L’aîné de ses fils était encore bien jeune lorsqu’il fut appelé dans la mère-patrie pour hériter des biens et des honneurs de sa famille. Le second, nommé Reginald, qui avait pris le parti des armes, se maria, eut un fils, et mourut à l’armée à peine âgé de vingt-cinq ans. Le troisième était le grand-père d’Agnès Danforth, et la fille était Mrs Lechmere.
Par une suite des sages dispositions de la Providence, qui proportionne toujours nos forces à nos besoins, la plus heureuse fécondité avait béni les mariages des membres de la famille Lincoln qui habitaient les colonies, et elle avait été refusée à celui qui avait été recueillir des honneurs et des richesses dans l’île populeuse de la Grande-Bretagne. Sir Lionel se maria, vécut jusqu’à un âge assez avancé, et mourut sans enfants. Son corps fut déposé sur un lit de parade surmonté d’un dais magnifique, dans des caveaux si spacieux, qu’ils auraient pu servir de sépulture à toute la famille de Priam.
Par suite de cette fatalité, on fut obligé de traverser encore une fois les mers pour trouver un héritier aux vastes domaines de Ravenscliffe et à l’une des plus anciennes baronnies du royaume.
Nous avons pris une peine bien inutile en donnant cette courte généalogie, si le lecteur n’a pas deviné que le fils orphelin de l’officier mort au champ d’honneur était celui que la mort de son oncle appelait à devenir le chef de la famille. Il était marié, et père d’un petit garçon charmant, lorsqu’il reçut cette nouvelle à laquelle il s’attendait depuis longtemps. Laissant sa femme et son enfant aux colonies, sir Lionel partit immédiatement pour l’Angleterre, afin de faire valoir ses droits et de recueillir les grands biens de sa famille. Comme il était le neveu et l’héritier reconnu de son oncle, il n’éprouva aucune opposition à ses réclamations les plus importantes. Un sombre nuage s’était étendu de bonne heure sur le caractère et sur la destinée de sir Lionel ; il était toujours concentré en lui-même, et personne n’eût pu lire sur sa physionomie ce qui se passait dans son âme. Depuis qu’il était parti pour recueillir la succession de son oncle, à peine ses amis les plus intimes avaient-ils entendu parler de lui. On disait, il est vrai, qu’il était retenu depuis deux ans en Angleterre par un procès relatif à un petit fief dépendant de ses vastes domaines, et que cette affaire avait été décidée en sa faveur avant qu’il eût été rappelé à Boston par la mort subite de son épouse. Ce malheur le frappa dans le moment où la guerre
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