Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
au lord lieutenant pour le prier de ne pas vous faire attendre et de vous accorder une prompte exécution et des funérailles décentes.
Seth appartenait à une certaine classe de ses compatriotes qui, tout en ayant une surabondance de ruse et de finesse, n’entendaient rien à la plaisanterie. Trompé par le ton sévère et courroucé que le grenadier avait d’abord feint et qu’il avait bientôt pris tout de bon à mesure que le souvenir de son injure se réveillait dans son âme, le prisonnier sentit la confiance qu’il avait dans la protection des lois s’ébranler fortement, et il commença à faire de sérieuses réflexions sur l’instabilité des circonstances aussi bien que sur le despotisme du pouvoir militaire. Le peu de causticité qu’il avait dans l’esprit, et qu’il tenait de ses ancêtres puritains, n’avait aucun rapport avec les grosses plaisanteries de l’Irlandais qui frappaient droit au but ; c’était un genre qui lui était étranger et qu’il ne comprenait pas ; aussi les conspirateurs eurent-ils un plein succès, et il n’était que trop évident que le pauvre diable avait pris l’alarme. Polwarth eut pitié de son embarras, et il dit d’un air d’aisance :
– Je crois avoir trouvé un moyen pour M. Sage d’échapper à la corde qu’il a méritée, et de rendre en même temps un service signalé à un ancien ami.
– Entends-tu, vil assassin d’hommes et d’animaux ! s’écria Mac-Fuse. Vite à genoux, pendard, et remercie M. Peter Polwarth de la proposition charitable qu’il veut bien te faire.
Seth ne fut pas fâché d’entendre exprimer des intentions aussi amicales ; mais, habitué à se tenir sur ses gardes toutes les fois qu’il s’agissait de marché, il s’interdit prudemment tout signe de satisfaction, et il répondit d’un air de gravité qui aurait fait honneur au marchand le plus rusé de King-Street, qu’il aimerait à savoir quelles étaient ces propositions, avant d’y donner son assentiment.
– En deux mots les voici, reprit Polwarth : vous serez libre dès ce soir et vous recevrez vos passeports, à condition que vous signerez ce papier par lequel vous vous engagerez à fournir notre table comme à l’ordinaire, pendant toute la durée du siège, de certains objets de consommation ici détaillés, et aux prix qui y sont marqués, et que le Juif le plus effronté de Duke-Place trouverait encore exorbitants. Allons, prenez la plume, lisez et faites une croix à chaque article approuvé. Si vous avez quelques observations à faire, on les examinera.
Seth prit le papier, et lut avec cette attention qu’il était dans l’usage de donner à tout ce qui affectait ses intérêts. Il trouva à redire au prix de tous les articles, qu’il parvint à faire changer comme il l’entendait, et il voulut en outre qu’on insérât une clause qui déclarât le marché nul, si les communications venaient à être interdites par les autorités des colonies ; après quoi il ajouta :
– Si le capitaine veut consentir à veiller sur mon mobilier pendant mon absence, et qu’il m’en réponde personnellement, je me déciderai à conclure le marché.
– Voilà un drôle à qui il faut des hypothèques dans un marché qu’il fait pour sauver sa vie ! s’écria le grenadier ; mais n’importe, il faut nous prêter à son humeur rapace, Polwarth, et nous charger de ses meubles. Vous entendez, maître Sage, le capitaine Polwarth et moi, nous les prenons sous notre responsabilité. Voyons, que je jette un coup d’œil sur les articles, ajouta le grenadier en parcourant gravement les différentes conditions du traité. Savez-vous, mon ami, que vous avez fait là un marché d’or ? du bœuf, du mouton, du cochon, des navets, des pommes de terre, des melons et autres fruits… Pour le coup voilà une méprise pour laquelle une table d’officiers anglais se pâmerait de rire pendant plus d’un mois, si un Irlandais l’avait faite ! Mettre le melon au nombre des fruits, et n’y pas mettre la pomme de terre ! Et puis, dans tout cela, je ne vois qu’à manger, Polwarth, et il me semble que vous avez oublié un article important. Allons, Seth, mettez-vous là, mon ami, et rectifiez sur-le-champ cette grave omission.
– De peur d’accident, répondit celui-ci, ne serait-il pas convenable de mettre aussi par écrit la petite convention additionnelle que je vous ai proposée ?
– Voyez un peu l’effronté coquin ! s’écria
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