Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
qu’il était destiné à perdre bientôt dans les déserts de l’Amérique. On remarquait encore Pigot, Grant, Robertson et l’héritier de la maison de Northumberland ; chacun d’eux commandait une brigade. Outre ces guerriers célèbres, il y avait aussi une foule d’officiers qui avaient passé toute leur jeunesse au service, et qui se préparaient à opposer sur le champ de bataille toute leur expérience aux efforts des paysans indisciplinés de la Nouvelle-Angleterre.
Comme si cette liste n’était pas suffisante pour effrayer leurs adversaires inexpérimentés, le désir de la gloire avait rassemblé sur le point où tous les regards étaient fixés une grande partie de la noble et chevaleresque jeunesse de l’empire britannique ; au milieu d’elle se trouvait celui qui devait par la suite ajouter la plus belle couronne aux lauriers conquis par ses ancêtres, l’unique héritier des maisons d’Hastings et de Moira, le jeune preux de Rawdon. Les heures de Lionel s’écoulaient rapidement dans la société de ces jeunes gens, dont la plupart avaient été ses compagnons d’étude et de plaisir, et il lui restait bien peu de temps pour méditer sur les causes qui l’avaient amené sur le théâtre de la querelle {45} .
Un soir d’été, vers le milieu de juin, Lionel fut témoin de la scène suivante, à travers les portes ouvertes qui communiquaient de sa chambre à coucher à celle que Polwarth avait consacrée à ce qu’il appelait la table des connaisseurs. Mac-Fuse était assis devant cette même table avec l’importance burlesque d’un bailli de comédie, tandis que Polwarth, assis près de lui, paraissait remplir le double emploi de juge et de greffier. Seth Sage fut cité à ce formidable tribunal pour répondre aux accusations portées contre lui sur la manière dont il s’était conduit sur le champ de bataille. Surpris que son hôte n’eût pas été compris dans le dernier échange, et curieux de savoir quels projets comiques ses amis cachaient sous la sévérité affectée dont ils cherchaient à armer leur front, Lionel posa sa plume et écouta le dialogue suivant :
– Maintenant, répondez à l’accusation portée contre vous, insigne fourbe, si sage de nom ! s’écria Mac-Fuse avec un regard sévère et une voix foudroyante qui ne manqua pas de produire la terreur qu’il voulait inspirer ; parlez avec la franchise d’un homme et la componction d’un chrétien, si vous l’êtes. Autant vaudrait, je crois, vous envoyer tout de suite en Irlande pour que vous y subissiez le sort que vous méritez sur trois pièces de bois, dont l’une serait placée en travers pour plus de solidité. Si vous avez quelque chose à dire pour votre défense, hâtez-vous ; il me tarde que vous y figuriez perpendiculairement.
Les deux officiers n’eurent qu’à s’applaudir de ce que Lionel ne regardait que comme une mystification ; Seth trahissait plus d’inquiétude qu’il n’en témoignait ordinairement, même dans les plus grands périls. Après avoir toussé pour s’éclaircir la voix, et avoir cherché dans les yeux de ses juges quelle miséricorde il pouvait en attendre, il répondit avec assez de courage :
– Je n’ai rien à dire, sinon que ce serait contre toutes les lois.
– Ne me parlez pas des interminables lenteurs de la loi, s’écria Mac-Fuse, et ne croyez pas nous endormir avec ces fadaises, comme si nous n’en savions pas plus que tous les procureurs du monde, malgré leurs grandes perruques. C’est à l’Évangile que vous devez croire, impie réprouvé, lorsqu’il vous avertit de vous préparer au dernier voyage que vous ferez un de ces jours avec une précipitation au moins indécente.
– Allons au but, Mac, interrompit Polwarth qui s’aperçut que l’imagination vagabonde de son ami l’entraînait loin du point désiré, ou je vais continuer l’instruction de l’affaire dans un style qui ferait honneur à un conseiller d’ordonnance.
– Les conseillers d’ordonnance sont tous contre la constitution et contre les lois, dit Seth dont le courage augmentait à mesure que l’entretien avait un rapport plus direct à ses principes politiques. Et je suis d’avis que si les ministres persistent à les soutenir ici, il y aura de grands troubles, si même on ne se bat pas comme il faut, car tout le pays est en feu.
– De grands troubles ! modèle d’iniquité, assassin de sang-froid ! s’écria Mac-Fuse d’une voix de tonnerre ;
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