Liquidez Paris !
alla vers le comptoir, le frappa du point et hurla :
– Whisky damned daggers !
Puis, d’un pas peu sûr, il s’approcha de Barcelona. – Ta gueule ne me plaît pas, frère, dit-il en lui poussant l’épaule, tu me fais penser à un Kraut. As-tu du whisky ?
Il retomba sur le sol, émit un rire bête, et se mit à chantonner My old Kentucky Home en battant la mesure avec une bouteille vide. L’aubergiste hocha la tête.
– Complètement noir. C’est un correspondant de guerre. Hier, il a écrasé sa machine à écrire sous prétexte qu’elle ne savait pas l’orthographe.
– Have a drink boys ! cria le géant yankee en envoyant des bouteilles vides s’écraser contre le mur.
Il cligna un œil malin vers le Vieux.
– Soldat, emmène-moi à Paris. Tu ne sais évidemment pas qui je suis. – Il eu un hoquet. – Mais est-ce que ça te regarde ? Est-ce difficile de mourir ? continua-t-il à bâtons rompus. – Il secoua la tête et répondit à sa propre question. – Pas difficile du tout, même beaucoup plus facile que de vivre. – Il se tourna vers Petit-Frère. – Grand, grand homme ! Tu arrives presque jusqu’au ciel, penche-toi vers la terre et donne-moi quelque chose de réconfortant. – Nouveau hoquet. – Tu aimerais bien apprendre où c’est, grand homme ? C’est un secret, top secret, mais tu es mon ami, je vais te le confier. Je parie trois contre-un que tu viens de l’Alabama. Tu ressembles à un bon vieux mangeur de nègres. Troisième rayon, à gauche de la glace, derrière le bar. Chut !
Petit-Frère eut un sursaut, se glissa derrière le bar, et surgit aussitôt, les bras chargés de bouteilles.
– Un endroit béni ! dit-il.
Le patron, suivi des filles de salle et de Porta, disparut dans la cuisine pour préparer la fameuse soupe. Il exhiba des boîtes de homard.
– Appartiennent aux Américains, mais quoi ! Ils prennent bien ce qu’ils trouvent ici. Vois-tu camarade, ça fait quatre ans qu’on les attend comme le Bon Dieu, ils arrivent, et tu sais ce qu’ils ont fait ? Ont bu jusqu’à la dernière goutte du calvados des mariages !
Un cri sauvage monta de la pièce voisine en même temps que des bruits de verre brisé.
– Mille diables ! – Le patron sortit d’une armoire une matraque de caoutchouc. – Tous les mêmes ces soldats, mais je vais leur apprendre !
Brandissant sa matraque, il se précipita dans la grande salle, toujours suivi de Porta qui avait renversé sur un plat plusieurs boites de crevettes. C’étaient Petit-Frère et Heide qui se battaient en se roulant sur le sol, aux applaudissements de l’Américain et de Barcelona. Deux coups de matraque suffirent à ramener la paix. Juste entre les deux yeux. Une bonne manière apprise depuis peu d’années. Porta hocha la tête en connaisseur.
– Beau travail, mais camoufle-toi quand Petit-Frère se réveillera. S’il découvre que c’est toi qui l’as sonné, y aura du vilain.
Il disparut dans la cuisine, s’affubla d’une toque de chef et attacha un grand tablier sur son uniforme bariolé.
– Tu parles allemand, camarade ? Je ne suis pas très bon en français.
– Quoi ? dit l’aubergiste suffoqué. Depuis quand es-tu à la Légion ?
– Pas si longtemps que ça, et on y parle toutes les langues.
– Ah bon, soupira le patron avec soulagement. C’est vrai qu’on appelle ça la Légion étrangère. Vous y êtes beaucoup d’Allemands ?
– Des tas, affirma Porta. On n’arrive pas à cracher tant y en a.
– Drôle d’époque.
_ Allons, voyons voir la bouillabaisse.
Tomates, carottes, tu as des oignons ?
Le patron lui tendit une poignée d’oignons.
_ Thym et laurier aussi, et puis persil et citron, ajouta. Porta qui se mit à chanter à tue-tête :
Hazadnak renduletlenul légy hive oh magyar !
Bolcsod ez s majdan sirod is, mely apol es eltakar.
– Qu’est-ce que c’est encore que ce charabia ?
– La chanson de la moisson magyare, frère. La bouillabaisse n’est bonne que si le persil est cueilli au clair de lune en chantant cette chanson. Là-bas, ils sont fous de bouillabaisse, et en passant par la Hongrie, il y a quelques années, j’ai acheté la recette.
L’aubergiste, écroulé sur un tabouret, n’en croyait pas ses oreilles.
– Mon Dieu ! marmonnait-il, je n’y comprends rien, mais on en voit tellement par le temps qui court !
Porta s’empara d’un bouquet d’ail :
– Assez bavardé. Ce genre de soupe
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