Liquidez Paris !
est une affaire sérieuse et il n’y a que les idiots qui épargnent le vin blanc. Nous versons deux bouteilles pas moins.
L’aubergiste opina du chef et tendit un plat de moules à Porta.
– Une douzaine de plus, dit celui-ci, et pas mal de boîtes de homards. Et aussi tout ce que tu as comme autre poisson sous la main. Sauf du hareng saur fumé naturellement, ajouta-t-il en fourrant son nez au-dessus de la casserole bouillonnante. – Pas de pain dedans, c’est du petit manger pour des libérateurs.
Le patron éclata de rire.
– Mais du safran et de la renoncule sont indispensables. Et peut-être un filet de rhum. Ça n’entre pas dans la recette que j’ai achetée, seulement une bonne chose ne peut qu’en améliorer une autre, dit-il en versant une demi-bouteille dans la soupe odorante.
Sous les rires des servantes, le patron vida ce qui restait du rhum, Porta lécha le goulot de la bouteille.
– Ça réchauffe et ça dépoussière le foie. Bon. Maintenant l’œil sur la pendule : quinze minutes, pas une de plus ou de moins.
Lorsque Porta et l’aubergiste parurent avec l’immense soupière, ils furent accueillis par un hurlement de joie.
– C’est la plus belle aventure de ma vie, dit l’Américain en se tenant les côtes. Je vous ai bien observés les gars !
Tout le monde blêmi. Heide manipulait son revolver,
– Vous étiez bien sur le point de m’avoir, mais moi, on ne me la fait pas.
Sans se douter que sa vie ne tenait qu’à un fil, il contemplait un morceau de homard. Porta, imperturbable, s’empiffrait. Lui et l’aubergiste savaient comment arranger les situations difficiles.
– Tout peut se régler avec quelques types gonflés et des revolvers, que ce soit ici ou à Washington, camarade. Je vais te montrer comment.
Il saisit son lourd P. 38 et repoussa son haut-de-forme jaune sur sa nuque. L’aubergiste devint livide et un silence de mort régna dans la salle. Deux coups partirent vers le plafond.
– Imbécile ! hurla le patron mort de peur. Tu veux me tuer !
– Ce n’était qu’un essai.
_ je vous ai guettés, continuait l’Américain avec l’obstination des ivrognes.
– Tu es noir, Yankee, noir comme un fumier.
– D’accord, mais je vous ai tout de même guettés. Tu n’es que le cul d’un grand homme, dit-il avec une énergie soudaine. Et puis vous ne savez pas boire du whisky, femmelettes !
– Nous femmelettes ! rugit Petit-Frère qui se réveillait et brandissait ses poings de géant.
Il devenait dangereux. Porta empoigna un bout de bois et lui en assena un coup sur la nuque. Pendant que nous l’attachions, l’Américain embrassa Porta.
– Bien joué camarade. Monte chercher ma touque, dit-il à une servante. Tu ne vois pas que nous sommes à sec ?
Il ne fallut que deux minutes à la fille pour redescendre avec une touque de quatorze litres. L’Américain colla sa bouche au goulot, mais ce n’est pas facile de boire au goulot d’un pareil récipient. Le whisky lui coulait sur le menton. Rots bruyants. Puis la touque fût tendue à Porta. Tout empestait le whisky. Le Vieux s’approcha d’une fenêtre pour vomir et repoussa soigneusement les rideaux noirs. Mais au diable la guerre ! On buvait, on bâfrait, on lampait à même la marmite fumante, pendant que Porta fourrait sa main sous les jupes d’une servante.
– Ciel ! Elle n’a pas de culotte !
– A la santé de tous les Krauts morts ! brailla le Yankee. Come on boys !
Un hurlement de bête l’interrompit, c’était Petit-Frère qui reprenait conscience.
– Lâches, salauds, assassins de camarades ! – La corde craqua et il parvint à libérer un de ses bras. – Attendez seulement que je vous attrape !
L’immense Américain se leva péniblement, essuya le whisky qui coulait de sa grosse moustache et fit la seule chose qu’il y avait à faire : il leva sa touque jusqu’à la bouche de Petit-Frère ! Et la fête continua.
– Je vais délivrer Paris, hoquette le Yankee. Buvons à la santé de cette damnée ville !
Barcelona vomit dans le dos de l’aubergiste qui était bien trop saoul pour s’en apercevoir. On retira de la marmite la tête de Heide juste au moment où il s’y noyait Porta s’en chargea avec les pincettes. L’Américain étouffait de rire et devenait violet.
– Vous allez à Paris les gars ?
– As-tu jamais entendu parler d’un voyage en France qui ne passe pas par Paris ?
– Emmenez-moi ! implora-t-il.
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