Liquidez Paris !
de confitures de betteraves. Que c’était bon sur le gros pain de l’armée ! Nous nous serrions les uns contre les autres. Nous nous sentions bien. Nous étions ensemble.
La nuit accoucha d’un jour gris. Bruits de voix. Les grenadiers arrivaient amers et de très méchante humeur, tandis qu’une batterie de la Flak se mettait en position ; Porta affirma, railleur, qu’elle n’atteindrait pas une escadrille de bombardiers à cinq mètres, et à terre ! Le lieutenant Löwe leva le bras.
– Blindés en avant !
Le lourd Tigre vibrait sous l’impulsion de ses deux énormes moteurs que Porta poussait sans raison. Deux chasseurs passent sur nos têtes, lâchent leurs bombes de cinquante kilos sur les bas-côtés de la route, et disparaissent sans aucun dommage malgré le tir féroce de la Flak.
Nouvelle attaque ! Les Tigres se mettent en formation. Nous voilà seuls, abandonnés, redevenus des tueurs. Derrière chaque caillou, chaque buisson, chaque pli de terrain, la mort guette sous forme de chars, de bazookas, de canons, de mines magnétiques. Le périscope nous révèle les cachettes de l’ennemi. Pour les fantassins une attaque massive de chars est la plus atroce des expériences et l’observation ennemie nous a repérés depuis longtemps ; déjà pleuvent les grenades, mais nous avançons à quarante kilomètres à l’heure et les longs canons se balancent avec la vitesse de l’engin. Tout est paré.
– Fermez les écoutilles, commande la voix du Vieux.
On verrouille les portes qu’il faudrait maintenant des explosifs pour ouvrir.
– Tourelle sur deux heures. Distance 700. Pak camouflé.
Des lignes, des carrés dansent devant mes yeux. Le Vieux me frappe sur l’épaule.
– Tu as le but ?
Je ne vois rien que des buissons et des ruines.
– Idiot, la ruine basse, là-bas, à gauche.
La flamme d’un canon révèle l’emplacement de la batterie, une grenade nous manque de peu. A la vitesse de l’éclair, je pointe, les chiffres défilent devant mes yeux : 650… les pointes se rejoignent, le cadran s’éclaircit.
– Vite ! dit nerveusement le Vieux.
Je tire. La pression de l’air nous atteint comme un coup de poing, la douille brûlante tombe sur le plancher d’acier. Cliquetis. Le canon est prêt à nouveau. On a démoli le canon Pak : métal et débris de chair. Tout saute ; le reste est écrasé sous les larges chenilles.
– Tourelle sur deux heures. Distance 500. Feu droit devant.
Le moteur ronronne, la tourelle vire, et je les reconnais tout de suite : ce sont des Churchill , faciles à repérer avec leur long corps et leur tourelle basse. Il y en a six qui se suivent de près – des débutants !
Nous stoppons. Seuls, les équipages inexpérimentés tirent en marchant, mais il faut faire vite : un char arrêté est une cible de choix. Petit-Frère ouvre un des panneaux pour voir « quand ça sautera ».
– Tirez donc, espèces de canards ! crie-t-il. Y a encore des obstacles avant d’arriver à Berlin.
– Ferme l’écoutille ! crie le Vieux.
– T’en fais pas, et rappelle-toi que je suis Obergefreiter, la colonne vertébrale de l’armée.
Le Vieux se tourne vers moi :
– D’abord le dernier, puis tu vires et tu écrases le premier, mais grouille-toi ! Tire !
Le long canon recule. Une langue de feu… Touché ! Le dernier char se retourne.
– Fais mal ! crie Petit-Frère. Vous ne connaissez pas encore les Berlinois.
La tourelle vire. Avant même qu’elle ne s’arrête, je tire : le premier Churchill est projeté hors du chemin.
– Changez de position.
Porta change de vitesse, recule, entre dans un pli du terrain. Je suis les trois derniers Churchill dans le périscope ; j’en prends un dans le carré, je tire… La grenade file telle une comète mais j’ai touché le seul point invulnérable d’un Churchill : la coupole de la tourelle. Ils ont dû avoir une sacrée frousse ! Mais ils ouvrent les écoutilles, l’équipage descend… Heide les fauche à la mitrailleuse au moment même où deux grenades nous atteignent ; mais le tir est trop court, nous en sommes quittes pour un bruit d’enfer. Petit-Frère s’est jeté au fond de la tourelle.
– Quel barouf ! Je me suis cru mort, ce genre de guerre est dangereux !
Il se relève en sueur, et prend une nouvelle grenade dans l’armoire ouverte. Je tiens le prochain Churchill dans l’optique : la longue grenade file, mais le char reste sur place.
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