Liquidez Paris !
Un sköl pour le bar du Ritz, et gare à ces sales Krauts s’ils l’abîment. Qu’ils esquintent l’Europe, mais pas le bar du Ritz ! Je me demande si mon vieux Jean y est toujours ?
11 tituba, tomba sur le comptoir et fixa d’un air hébété un vase cassé :
– Dieu que j’ai soif !
Il se saisit d’une bouteille de cognac, Porta lui tend du rhum, du whisky, et tous deux touillent le mélange avec un pique-feu dans le vase cassé. L’affreux mélange vous cogne comme un poing fermé.
– Je brûle ! gémit Petit-Frère, pendant que l’aubergiste tombait en sanglotant derrière le bar.
– Vends-moi ton revolver, demandait Porta à l’Américain.
– Peux pas mon vieux, c’est le cadeau d’un spaghetti qui est mort. – Il rigole et hoquette.
– Et toi, t’aurais pas une jeep à vendre par hasard ?
– Non, mais j’ai un char, répond Porta. Il est garé sur la place.
– T’es pas fou ? Le gendarme va te flanquer une contravention ; viens, on va le déplacer, dit le Yankee en s’emparant du bras de Porta. – Tiens, remarque-t-il après une longue réflexion devant notre engin, pourquoi tu as une croix de Kraut dessus ?
Porta fixa pensivement la croix gammée tout en s’éventant de son haut-de-forme jaune.
– Un con, dit-il d’un air réprobateur, qui a voulu nous jouer un sale tour !
– Déf… déf… défendu, balbutia l’Américain. Faut chercher de la peinture blanche.
De la peinture, l’aubergiste en possédait. Les deux ivrognes arrivèrent à peindre en blanc les croix noires, puis s’assirent sur le trottoir pour contempler leur œuvre.
– Donc c’est promis, nasilla l’Américain. Tu m’emmènes à Paris dans ton bus. D’ailleurs faut que j’envoie mon papier à mon journal. J’ai un titre épatant !
Il traça des lettres dans l’air en répétant avec application :
« Un correspondant de guerre et un conducteur de char délivrent Paris. Un million de Krauts se rendent, » Tu sais photographier frère ?
– Comment donc, opina Porta.
– Alors on prend les maréchaux Krauts et on les met en rang devant le bar du Rilz pour les photographier, et puis après, on leur botte le derrière entre chaque verre. Viens frère, filons !
Mais à peine sur ses jambes, le correspondant de guerre tomba comme un sac. Cette fois le mélange d’alcool devenait dur à digérer.
Nous en profitâmes pour remonter péniblement dans le char. Tout tournait comme une roue ivre ; Porta chantait à tue-tête ; les cahots de la route augmentaient encore notre malaise.
Soudain, on vit Heide se casser en deux en gémissant ; son visage devenait couleur de plomb.
– Quoi encore ? demanda Porta.
– Ça doit être ce maudit alcool américain, murmura Heide qui vomit sur la radio et le tableau de bord.
La puanteur était telle que tout le monde en profita pour s’engueuler, mais Heide se roulait sur le plancher d’acier en se tenant le ventre.
– Peut-être est-il vraiment malade ? dit Porta en hésitant.
– Arrêtez la voiture, commanda le Vieux, on va l’examiner.
Nous nous arrêtâmes sous quelques arbres touffus et il fut difficile d’extraire Heide qui hurlait de souffrance.
– Tuez-le ! cria Petit-Frère, c’est le plus simple, il m’a toujours retroussé les doigts de pied.
Le Vieux l’écarta, déshabilla Heide et lui tâta le ventre.
– C’est l’appendicite, dit-il sèchement. Il faut l’opérer tout de suite sinon il meurt, et le seul endroit où on puisse l’opérer, c’est chez les Américains. Qu’en dites-vous ?
_ Risquer une balle dans la nuque pour lui s’écria Porta avec horreur. Ah ! ça jamais ! J’emmerde son appendicite.
Le légionnaire secoua la tête :
– Tu es naïf de croire que les copains d’en face ont le temps d’opérer. Ils le tueront et nous avec. C’est la guerre. Moi je suis de l’avis de Petit-Frère.
Porta alluma une cigarette narcotique et la mit entre les lèvres bleues de Heide ; Petit-Frère tripotait son naja ; le Vieux pensif se frottait le nez, comme toujours lorsqu’il réfléchissait. Heide divaguait. Nous entendîmes le mot « Dieu ».
– Un peu tard pour y penser, grommela Porta.
Le Vieux se décida enfin :
– Sortez l’antenne, dit-il. On va essayer de se mettre en rapport avec notre unité la plus proche, mais où est-on ? Dans ce sale pays, on ne sait jamais !
Le légionnaire coiffa le casque du micro et manœuvra la radio. « Hallo,
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