Liquidez Paris !
Porta d’un air pensif, essuya son front et fourra ses papiers pêle-mêle dans une serviette marquée aux armes du Reich. Il redressa son chapeau et but encore un ou deux verres d’eau.
– Bien, graillonna-t-il. Je classe l’affaire.
– Un regard menaçant fut adressé à Hoffmann. – La prochaine fois que vous ferez venir la Gestapo, tâchez de réfléchir avant sans ça vous serez amené à faire une petite promenade avec nous. Mais ne vous figurez pas que c’est termine. Là Gestapo contrôle tout, et le tribunal des travailleurs aussi.
Paroles imprudentes ! L’homme aurait voulu s’arracher la langue.
– Filez ! hurla-t-il. Filez au diable ! Disparaissez tous !
La salle se vida en un temps record et le policier se dirigea vers Porta.
– Qui connais-tu au geheimes Gericht, camarade ? dit-il en passant un bras amical autour des épaules du rouquin.
– Ultra-secret, répondit Porta en souriant. Un bon patriote ne dit rien.
– Assez de ce baratin, maintenant on est entre nous. Viens vider un bock avec moi.
L’Unterfeldwebel Braun, chef de la cantine, le rouquin et le policier de la Gestapo s’installèrent seuls à une table.
– J’ai beaucoup d’amis à ce tribunal, dit mystérieusement le rougeaud. Peut-être les connais-tu ?
– Alors on s’y rencontrera, un jour, déclara d’un air innocent son interlocuteur.
Tournée sur tournée ; on fraternise.
– Veux-tu venir chez nous ? proposa le rougeaud, ça je le peux.
– Pas le temps, dit Porta, je fais des affaires.
– Café ? murmura aimablement l’homme.
Le rouquin sourit :
– Pourquoi pas ? C’est très demandé en ce moment.
– Parlons net, camarade. Où avais-tu caché le café ? De ce côté-là, j’ai des clients qui paient bien.
– Comprends rien à ce que tu racontes, mais pour une autre fois, qui sont ces clients ?
– Cinquante cinquante et on marche ensemble.
– Tu rêves ! Dix.
– Pas question. Vingt et c’est conclu. Des clients dont tu n’as pas idée.
– Dix-sept, pas un pet de plus.
– Sois pas grossier ! Je peux avoir le café et toi avec mon bonhomme.
Sans mot dire, Porta boucla son ceinturon et fit mine de s’en aller.
– Allons calme-toi, camarade, tu devrais comprendre la plaisanterie ! cria le rougeaud.
– La famille Porta est célèbre pour son sens de l’humour. Mon aïeul était clown au cirque Kranz et faisait tordre tout le monde par ses bons mots, en ayant au cul une toupie tournante peinte en noir, blanc et rouge. Très patriote comme tu vois.
Le policier eut un rire forcé. Si ce n’était pas la plus grossière insulte aux couleurs nationales, alors qu’est-ce que c’était ?
– Je peux te dire, chuchota-t-il mystérieusement, que la petite ordonnance ventrue du commandant du Grand Paris cherche du café, et ce n’est même pas pour lui ! C’est le grand patron qui l’envoie !
– Tu ne penses tout de même pas que je suis assez con pour aller chez le général lui fourrer un sac de café sous le nez ?
– -Non, bien sûr ! Ce n’est ni toi ni moi qui pouvons nous présenter au Meurice. Il a bien trop de faux jetons dans les parages. Des agents de la juiverie internationale. Tout ça à supprimer sur l’heure. De la dureté, dur comme l’acier Krupp, c’est ma devise. Donc nous disons dix-sept. Ça va.
Et ils sortirent bras dessus, bras dessous.
Le soir même le marché fut conclu avec l’ordonnance du général von Choltiz non sans avoir soigneusement vérifié l’authenticité des billets de banque.
Tout le monde alla boire un verre dans la cuisine du Meurice.
– Tu as de la culture ? demanda soudain Porta à l’homme de la Gestapo.
– Naturellement ! – Il montra son insigne à deux étoiles. – Si tu crois qu’on vous donne ça sans culture !
– Alors dis-moi comment s’appelle le cochon d’Odin ?
– Que diable ! C’est la quatrième fois aujourd’hui qu’on me pose cette question ! Mais qu’est-ce qu’on lui veut donc à ce cochon ?
Les policiers du camp de transit « La Rolande », près de Beaune, étaient des gens qui connaissaient la pitié. L’un d’eux, l’Unterscharführer Kurt Reimling, comprenait bien l’angoisse des prisonniers.
– Tuez-moi avec mes enfants, suppliait une mère juive qu’on voulait séparer de ses trois petits en bas âge.
Reimling fit ce qu’elle demandait et fut assez magnanime pour commencer par les enfants. La mère put
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