Liquidez Paris !
tête :
– On dit tant de choses en ce moment ! L’interpellé ne sait rien au sujet du café. Il ne boit d’ailleurs jamais de café.
Au même instant surgit le feldwebel Winkelmann, chef du dépôt du sergent-major, et jusqu’à l’heure actuelle âme damnée de Hoffmann pour toutes les affaires louches.
– Permettez-moi d’intervenir, Herr Oberinspektor, j’arrive du dépôt où j’ai fait le compte des sacs de café. Leur nombre est rigoureusement exact.
– Quoi ? bafouille le policier.
Que toute l’armée allemande aille en enfer ! Winkelmann reste impassible.
– Signale que j’ai trouvé les dix sacs de café derrière l’orge yougoslave. Ce sont les hommes du dépôt. Désordre et manque de conscience, mais deux d’entre eux sont déjà affectés à une compagnie de marche qui part demain.
– Alors il ne manque plus rien ?
Le rougeaud en reste la bouche ouverte. Ça, on le lui paiera ! On ne devait pas le voler. Cinq sacs lui revenaient de droits. Bandits !
– Tu mens, ordure ! crie Hoffmann. Est-ce que nous n’avons pas compté les sacs ensemble ? Voyons Winkelmann, ne sois pas un salaud ! Tu es un vieux compagnon !
Deux chapeaux de feutre, le rougeaud, Hoffmann, le sergent-major et le feldwebel Winkelmann se rendent en procession au dépôt du régiment. Dix-sept sacs de café du Brésil portant le cachet de l’armée sont là bien alignés. On en renifle le contenu : c’est du café. On vide son sac au hasard : c’est du café. Comment Winkelmann s’est-il débrouillé ? Dix sacs de café, ça ne pend pas aux arbres. Travaille-t-il avec Porta ? Mais non, Porta s’en méfierait bien trop ! Alors quoi ? Winkelmann triomphe pendant que Hoffmann tripote son revolver.
– Malheureusement pour toi, feldwebel de dépôt, j’ai ton faux rapport. Me demande ce que le generalfeldmarschall Model en pensera.
– Rapport ? sourit Winkelmanni Tu tiens un morceau de papier sans signature.
– Ton nom y est !
– C’est vrai Claus, mais c’est toi qui l’y as mis. N’as-tu pas dit que si on se tenait les coudes on finirait par avoir Porta qui t’emmerdait ?
Le chapeau du rougeaud reçoit un coup de poing de son propriétaire.
– Faux rapport, dérangement de la Gestapo sans raison, imitation de signature. Paragraphe 309 du livre des punitions. C’est grave.
Un des acolytes fait déjà cliqueter des menottes, et tout en discutant bruyamment, le petit groupe revient dans la grande salle. Hoffmann, l’air mauvais, est silencieux ; il mijote quelque chose. Jamais, jusqu’à ce jour, on ne l’a vu capituler. Porta, cette crapule ! Ce roi du marché noir. En vingt-trois ans de service, le Hauptfeldwebel né se souvient pas d’avoir haï un individu à ce point ! C’était comme le chien du capitaine Gerke, le bulldog Tulle qui toujours levait la patte sur les bottes de Hoffmann. Mais que peut faire un feldwebel contre un chien d’officier ? Malheureusement pour Tulle, il ne connaissait pas l’armée polonaise et il sauta sur une grenade polonaise bien dirigée. Depuis ce jour-là, Hoffmann ne supportait pas que l’on dise du mal des Polonais. Quant au capitaine Gerke, il trouva la mort des héros dans le quartier réservé de Varsovie ; évidemment la balle qu’il avait reçue dans la nuque occasionna quelque bruit. C’était un 9 mm P. 08, mais ce genre de feu pouvait tout aussi bien avoir été volé par les partisans.
L’officier aux deux étoiles d’or sur l’épaule fut enterré glorieusement avec Tulle à ses côtés, lorsque soudain l’on découvrit que le capitaine possédait un quart de sang juif. Un agent de l’ombre ! Les restes du héros et du chien. juifs lequel s’était permis de lever la patte sur les bottes d’un Prussien aboutirent dans un fossé polonais et Hoffmann crachait encore en y pensant. Tous ces officiers et leurs chiens, des salauds. Il se leva.
– Obersekretär, Hauptfeldwebel Hoffmann demande une enquête concernant Z. B. V., en particulier 2 e section, 1 er groupe. But ; haute trahison, sabotage des ordres, souillure de l’honneur militaire, défaitisme, complaisance envers l’ennemi.
Un silence de mort tomba soudain. L’homme de la Gestapo avala en vitesse deux verres d’eau, et le sourire du lieutenant Löwe se figea. Tout le monde savait à quoi faisait allusion Hoffmann, une affaire qui vous coûtait la tête.
Cette affaire-là se passait en Normandie par un beau jour de soleil.
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