L'oeil de Dieu
ces missives avaient cessé de lui parvenir, aussi ne s’en était-elle plus préoccupée. Parfois elle se demandait si Colum et Thomasina en savaient davantage qu’ils ne lui avaient dit. Elle jeta un regard à sa servante par dessus son épaule, mais celle-ci affichait un visage impénétrable.
Thomasina s’était remise de la stupeur qui l’avait saisie en pénétrant dans la Maison des Secrets. À présent, elle couvait sa maîtresse d’un regard protecteur, se jurant que, pour une fois, elle tiendrait sa langue, quand bien même elle savait toute la vérité. Alexander Wyville n’était qu’un affreux bâtard qui s’était dissimulé sous un vernis de courtoisie et de bonnes manières. C’était un ivrogne qui battait sa femme. Et il avait vomi le poison que lui avait administré le docteur Swinbrooke. Il avait alors couru chercher secours chez son ancienne maîtresse, la grosse et lascive veuve Gumple, qui lui avait donné des vêtements et un peu d’argent pour qu’il s’enfuie de Cantorbéry. Oh, oui, Thomasina connaissait la vérité, mais elle ne désirait qu’une chose : que Gloucester, ce prince puissant et inquiétant, laisse sa maîtresse en paix !
Gloucester se redressa.
— Maîtresse, mon intention n’est pas d’être indiscret, mais de vous aider. Le roi est satisfait de vos services, et si je vous ai conduite ici, c’est – entre autres – pour vous donner des nouvelles de votre mari disparu depuis si longtemps.
En prononçant cette dernière phrase, le prince affichait un mince sourire. Kathryn, quant à elle, se glaça tandis que son estomac se nouait.
— Où est-il ? demanda-t-elle dans un souffle.
Gloucester fit claquer ses doigts et appela le clerc qui les avait introduits dans la pièce.
— Walter ! Apportez-moi le mémorandum sur Alexander Wyville.
Le clerc sourit et chercha dans les rouleaux de parchemin entassés sur les étagères qui couvraient les murs du sol au plafond. Il finit par en tirer un petit dont il défit le lien rouge avant de le tendre au prince.
— Voici les informations sur tous les traîtres qui ont suivi Faunte, Monseigneur.
Gloucester, après lui avoir ordonné d’approcher une chandelle, déroula le parchemin.
— Peu de noms sont cités, murmura-t-il, mais selon ce document, Alexander Wyville était à Leamington quand Warwick a rassemblé ses troupes.
Il était avec le traître lorsqu’ils ont traversé le Hertfordshire pour se rendre à Barnet, mais on ne l’a pas vu depuis.
Le coeur de Kathryn fit un bond dans sa poitrine. Devait-elle se réjouir ou s’affliger de ce qu’elle venait d’apprendre ? Néanmoins, savoir que son père n’avait pas assassiné Alexander lui procurait un soulagement certain.
— Acceptez mes remerciements, Monseigneur, murmura-t-elle.
Gloucester haussa les épaules et s’assit sur la table, le parchemin sur les genoux.
— Remerciez plutôt votre bon ami, Maître Murtagh. C’est lui qui m’a demandé de faire des recherches sur votre mari.
Kathryn se mordit la lèvre. L’Irlandais avait agi dans son intérêt, elle le savait au fond de son coeur, mais il aurait pu éviter de se mêler de ses affaires.
— Si nous avons d’autres nouvelles, reprit Gloucester d’un ton léger, nous vous les communiquerons. Mais si Wyville est vivant et qu’il revient, que se passera-t-il, Maîtresse ?
Il tendit une main en avant.
— Si je puis me permettre cette question…
— J’y répondrai comme je l’ai fait quand d’autres me l’ont posée, répliqua Kathryn sans hésiter. J’ai épousé Alexander Wyville, croyant me marier à un certain homme ; mais il s’est révélé autre. Le père Cuthbert, prieur de l’hospice des Prêtres Indigents à Cantorbéry, et qui est mon confesseur, m’a dit que si Alexander revenait, je devrais demander au tribunal ecclésiastique d’annuler notre mariage.
Kathryn prit une inspiration avant d’ajouter :
— Il dit, Monseigneur, que si j’avais su ce qu’était réellement Alexander, je ne l’aurais pas épousé. Et je jurerai devant le tribunal de l’Église que c’est la vérité.
— Ainsi vous demanderez que notre sainte mère l’Église considère que votre mariage n’aurait jamais dû avoir lieu, et que les liens que vous avez contractés soient annulés ?
Kathryn hocha la tête, tirant un peu plus sur le fil de l’ourlet de sa cape.
— Ce sont des affaires d’âme et de conscience, murmura-t-elle. À présent,
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