L'oeil de Dieu
serez où, Maîtresse ?
— Là-bas.
Kathryn fit répéter le message à Wuf, qui partit à toutes jambes tandis que Thomasina prenait leurs capes et laissait des instructions à Agnes, la fille de cuisine. Très vite, Kathryn et sa servante sortirent de nouveau dans Ottemelle Lane.
Rawnose s’approcha en claudiquant pour remercier Kathryn du remède qu’elle lui avait donné, mais la jeune femme poursuivit son chemin. À l’angle de la rue, le clerc Goldere fit mine de les arrêter, mais un regard de Thomasina l’en dissuada, et il se retira vivement.
Kathryn avait déjà arrêté son plan. Ignorant les protestations de Thomasina, elle pénétra dans la Taverne des Voyageurs, juste à l’angle d’Old Jewry Lane. Il y faisait très sombre, et cela sentait le moisi.
— Pouah ! marmonna Thomasina. Ça pue la bière et l’oignon, Maîtresse. Que diable cherchez-vous ici ?
Kathryn, debout sur le seuil, regardait les clients, et elle sourit en voyant les deux ramasseurs de corps.
Elle s’avança vers eux, douce comme un agneau.
— Messieurs, je vous dois des excuses.
Les deux hommes la regardèrent, ahuris, leur bouche et leur menton dégoulinant de bière.
— Que voulez-vous dire ? balbutia l’un.
— Vous aviez raison pour les vieilles dames, Maude et Eleanor. Elles ont la peste. À moins que ce ne soit une fièvre tierce.
— Elles sont mortes ?
— Non, mais elles ne tarderont pas à passer.
Kathryn haussa les épaules.
— Je viens de leur rendre visite, et ne puis plus rien pour elles, sauf – comme m’y obligent les règlements de la cité – vous en informer.
Sur ces mots, Kathryn pivota sur ses talons et sortit pour descendre en toute hâte Old Jewry Lane.
Elle tambourina à la porte des deux soeurs, et ce fut une Eleanor hagarde qui lui ouvrit enfin.
Kathryn se précipita dans la maison, ignorant Thomasina qui lui reprochait cette hâte malséante.
— Venez vite, dit Kathryn à la vieille dame, l’entraînant dans la pièce où se tenait sa soeur. Nous allons avoir de la visite. Thomasina, toi, prépare un plateau avec quatre – non, six – coupes d’eau fraîche, et surtout n’en bois pas.
Kathryn sourit en voyant enfin le regard entendu de sa servante, qui fît ce qui lui était ordonné et apporta le plateau. Kathryn demanda le silence. Les vieilles dames, faibles et mal en point, obéirent. Kathryn s’assit sur un tabouret.
— Ils ne tarderont plus, murmura-t-elle.
Sa pensée s’envola alors vers Wuf, qui était parti chercher Luberon. Oh, le clerc arriverait après les deux visiteurs qu’elle attendait, Kathryn n’en doutait pas. D’ailleurs, voilà que sa patience était déjà récompensée car on frappait à la porte. D’un geste de la main, la jeune femme intima aux vieilles dames de ne pas bouger. On tambourina encore, puis des bruits de pas lourds se firent entendre dans le couloir. L’instant d’après, les deux ramasseurs de corps faisaient irruption dans la pièce. Et Kathryn ne saurait jamais s’ils furent plus surpris de trouver les soeurs en vie ou elle-même et Thomasina installées tranquillement dans la place.
— Que signifie cette mascarade ? grommela l’un.
Kathryn se leva en souriant.
— Oh ! Maude et Eleanor sont mal en point, dit-elle.
Prenant deux coupes d’eau sur le plateau, elle les tendit aux hommes :
— Tenez, buvez un peu d’eau fraîche.
Les ramasseurs prirent les coupes, mais l’un d’eux déclara immédiatement :
— Je ne bois jamais d’eau.
— Eh bien, vous le ferez, pour une fois. D’ailleurs, nous allons tous boire.
Kathryn distribua une coupe à chacun et poursuivit :
— Et si vous ne buvez pas, eh bien, moi, je vais le faire.
Elle porta sa coupe à ses lèvres et vit clairement la panique dans les yeux des ramasseurs de corps.
— Arrêtez ! cria l’un d’eux.
Kathryn abaissa sa coupe.
— Pourquoi ?
— Oh, tais-toi donc ! dit avec rage le plus vieux à son frère. Tais-toi, poltron imbécile !
— Pourquoi se tairait-il ? demanda Kathryn. Il finira bien par avouer. La cour se réunira, et on convoquera tous les voisins, qui jureront qu’ils n’ont pas approché cette maison, comme vous deux l’aviez ordonné.
La jeune femme regarda Eleanor, qui maintenant hochait la tête.
— Vous et moi sommes les seules personnes qui avons pénétré dans cette maison. J’y suis venue en tant que médecin, j’ai fait nettoyer le baquet d’eau, et j’ai
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