L'oeil de Dieu
quartier plus calme pour reprendre la parole.
— J’ai demandé à Luberon de transporter le corps au château parce que je pense qu’on pourra l’y identifier. J’ai peut-être fait une erreur.
Elle poursuivit son explication :
— Le cadavre est celui d’un homme vigoureux et bien nourri. J’en ai donc immédiatement conclu qu’il ne pouvait s’agir d’un prisonnier. Sparrow, cependant, était jeune et robuste. Il devait l’être, pour avoir terrassé cette sentinelle.
La jeune femme haussa les épaules.
— De plus, Webster semble avoir été un geôlier au coeur tendre. Je ne pense pas que les prisonniers du château de Cantorbéry se soient jamais plaints de la faim. La nourriture n’y est peut-être pas raffinée, mais elle doit être abondante.
— Vous avez pourtant dit que le cadavre ne portait pas de marques de fers aux chevilles ni aux poignets.
— Vous auriez dû relever mon erreur, rétorqua Kathryn avec un rien d’agacement.
— Qu’essayez-vous de me reprocher, Maîtresse Swinbrooke ? Je vous en prie, expliquez-vous.
Kathryn reprit sur un ton taquin :
— Dites-moi, Irlandais, vous avez été maréchal du roi, autrefois, il me semble ?
Colum hocha la tête.
— Vous avez donc jeté des gens en prison ?
L’Irlandais opina de nouveau.
— Et combien d’entre eux portaient-ils des chaînes et des menottes ?
Colum sourit et effleura doucement de son doigt le bout du nez de Kathryn.
— Femme intelligente ! Vous avez raison, bien sûr. Que Sparrow ait porté des chaînes et des menottes au moment de son évasion ne signifie pas qu’il était entravé tout le temps. Il ne l’était pas dans sa cellule.
On les lui mettait seulement lorsqu’il sortait prendre le frais dans la cour.
— Exactement, approuva Kathryn, et cela ne nous facilite pas la tâche.
— Pourquoi ?
La jeune femme reprit lentement la parole.
— Réfléchissons… Sparrow s’est échappé en tuant le gardien et en déverrouillant ses menottes.
Elle plissa les yeux.
— À ce propos, que sont-elles devenues ? Quoi qu’il en soit, Sparrow s’échappe du château. C’est assez facile, il fait presque nuit, et la garnison est très réduite. Maintenant, Irlandais, que feriez-vous si vous étiez le prisonnier évadé ?
Colum haussa les sourcils.
— Je volerais de la nourriture, un cheval et une arme : une dague, une épée, peu importe. Et je filerais le plus loin possible de Cantorbéry.
— Eh bien, Sparrow, non. Oh, je suppose qu’on avait prévenu la ville qu’il s’était échappé. Cependant, une fois libre, le prisonnier aurait pu se trouver à des kilomètres de Cantorbéry avant que les bons bourgeois de la cité ne soient au courant de son évasion.
Kathryn leva les yeux sur le donjon menaçant du château, songeant à la chute mortelle de Webster.
— Quelque chose a retenu Sparrow à Cantorbéry, dit-elle. Il semble qu’il y ait trouvé une mort violente, mais de la main de qui ? Mystère. C’est en tout cas un individu sans scrupule qui l’a tué, car il faut l’être pour décapiter sa victime et la jeter ensuite dans la rivière.
— Si je vous suis bien, celui qui a tué Sparrow avait peur de lui ? Croyez-vous que le prisonnier le faisait chanter ?
À son tour, Kathryn demanda :
— Sparrow savait-il quelque chose sur la mort de Brandon ? Et se servait-il de ce qu’il savait pour effrayer quelqu’un ?
— Dans ce cas, que pouvait-il savoir ? rétorqua Colum. Dites-moi, Kathryn, et si Sparrow avait menacé Webster ? Le gouverneur aurait-il tué son prisonnier, jeté son corps dans la rivière, puis, pris de quelque égarement de l’esprit, il se serait donné la mort en se jetant du haut du donjon ?
Kathryn dirigea son cheval vers le pont-levis.
— Nous construisons des châteaux de sable, dit-elle. Il nous faut d’abord découvrir si le cadavre décapité est bien celui de Sparrow.
Ils trouvèrent Luberon qui piétinait avec impatience auprès d’un énorme charreton immobilisé devant la cour du château. Quand il les vit, il fit signe à Kathryn et à Colum de s’approcher.
— Voilà un bon moment que je suis ici, déclara-t-il rondement. Maîtresse Kathryn, il faut enterrer ce cadavre rapidement.
Il jeta un regard désapprobateur aux poulets faméliques qui picoraient dans la poussière, devant les chiens paresseusement allongés pour jouir du soleil matinal, indifférents à ce qui se disait.
Le clerc reprit
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