L'Ombre du Prince
au-dessus de ses hanches étroites, avait le torse
presque découvert. Seule une épaule, qu’un pan de sa tunique recouvrait, s’agitait
au moindre mouvement brusque du char.
D’un bras, il tenait solidement la taille de
la jeune fille. Tendrement, elle posa sa tête sur l’épaule du jeune roi et lui
murmura une parole tendre. Mais, à chaque instant, son jeune frère rompait l’harmonie
de l’instant.
— Tu me prendras bientôt dans ta
cavalerie légère ? cria-t-il grisé, fou d’ivresse, tant la course qu’il
faisait prendre aux chevaux était effrénée.
— Promis, dès que tu auras l’âge de
partir en expédition.
— Et je serai ton conducteur ?
— Tu sais bien que je mène toujours moi-même
mes attelages. Mais si tu veux, tu conduiras tes chevaux aux côtés des miens.
Il n’en fallait pas plus pour contenter
Rekmirê et il crispait ses mains sur les rênes. Le sable se soulevait sous le
sabot des chevaux emballés. Ils allaient un train d’enfer et la course insensée
soumettait le char à de violents efforts, le faisant tressauter au moindre
heurt des roues sur un caillou, une racine, une roche enfouie par le dernier
khamsin et dont l’extrémité sortait à peine du sable.
Rekmirê parvenait même à redresser l’attelage
et à le remettre en position droite lorsque celui-ci penchait dangereusement
sur le côté.
Des mangoustes s’enfuyaient devant eux et des
nuées de moustiques obstruaient leur passage.
— Regarde, s’écria Satiah volubile en
levant les yeux au ciel. Regarde, Thouty, c’est ton faucon. Il nous suit.
Ce fut l’embardée, car Rekmirê lui aussi porta
le regard en plein ciel, ignorant encore que lorsqu’on menait ses chevaux un
train d’enfer, il fallait doublement observer la ligne d’horizon.
L’attelage vira sur la gauche, une roue
crissa. Dans un cri, Satiah bascula, glissa sur Thoutmosis qui ne put la retenir
tant le déséquilibre était violent. Projetée hors du char, elle alla rouler sur
le sable dont la moelleuse épaisseur l’accueillit moins brutalement que ne l’aurait
fait un chemin de terre ou un dallage en pierre.
Thoutmosis réussit à saisir les rênes au
moment où l’un des chevaux tentait de se rééquilibrer. L’attelage glissa sur le
côté, se renversa et fut traîné sur quelques mètres avant de s’arrêter
complètement retourné.
Satiah s’était relevée. Assommée, elle
titubait vers ses compagnons qui, eux aussi, tentaient de réagir. Thoutmosis
détacha les chevaux dans une demi-inconscience et Rekmirê frottait sa tête qui
avait malencontreusement heurté le bois externe de la voiture.
L’un des chevaux paraissait plus touché que l’autre,
mais aucun d’eux n’était tombé. Pourtant, Rude geignait et Brave qui secouait
énergiquement la crinière refusait toute approche de son maître.
La force de Thoutmosis, une force qui plus
tard devait devenir légendaire, lui permit de relever l’attelage sans trop de
difficulté. L’écorce en feuille d’or qui recouvrait le bois d’acacia
délicatement peint était arrachée et quelques ferrures en bronze se tordaient
sur les bas-côtés.
Quand Satiah fut remise de sa chute – c’est
à peine si elle sentait une douleur au bas de ses reins et un bourdonnement
dans sa tête – elle s’assura de la bonne forme de son frère et s’approcha
des chevaux.
— Rude a une entorse au jarret, fit-elle
en frôlant de ses doigts la patte brûlante et douloureuse du cheval.
Elle avala une grande bouffée d’air. Le choc
avait déchiré sa tunique en un long effilochage qui partait du bas des cuisses
jusqu’à la taille, dénudant un côté de son ventre lisse et mat. À sa ceinture
pendait un étui en fibre de papyrus, plus long que large, assez profond pour qu’il
ressemblât à l’enveloppe d’un petit poignard. Pourtant, elle n’en retira pas un
couteau, mais une fiole qu’elle ouvrit sans difficulté. Puis, elle déversa
quelques gouttes dans le creux de ses mains et massa doucement le jarret du
cheval. La friction fut longue et parfois, Satiah faisait couler directement l’huile
sur le jarret douloureux de Rude. Puis, elle activa son va-et-vient sur la
patte blessée.
Bientôt le cheval posa son sabot sur le sol.
Il ne geignait plus.
— Que lui as-tu fait ? Où donc as-tu
appris ce tour de magie ? questionna Thoutmosis, surpris de remarquer que
son cheval hennissait à nouveau, serein et calmé.
— C’est une huile à base
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