L'Ombre du Prince
malade que l’on peut en déceler le mal,
rétorqua Seddy.
— Moi, je l’ai décelé, insista le
médecin. L’accouchée n’a eu ni coliques ni diarrhées.
— Qui peut le justifier ? jeta le
juge Djéhouty.
— Les accoucheuses.
— Qu’on les fasse venir.
Les matrones s’avancèrent, poussées dans le
dos par les gardes. Elles paraissaient récalcitrantes au point de ne pas
dévoiler ce qui pouvait faire avancer le procès.
— Avez-vous constaté ce fait ? s’enquit
le juge auprès des deux sages-femmes.
— Non, jeta l’une d’elles.
— Comment ? s’écria Hapouseneb, pâle
de colère. Vous étiez là, bien avant l’arrivée du médecin Neb-Amon et, si vous
êtes restées quelque temps encore, c’est justement parce que le corps de Méryet
ne se vidait pas comme celui de tous ceux qui étaient atteints par l’épidémie.
— Niez-vous l’une et l’autre ?
demanda Djéhouty.
— Nous nions, firent en chœur les deux
femmes.
Mekyet se leva à son tour, un sourire vengeur
sur les lèvres. Enfin, il tenait sa revanche. Ce minable favori de la reine
retournerait croupir dans les rues de Thèbes d’où il venait et où il se
plaisait tant à soigner les pauvres et les déshérités. Place dorénavant aux
deux plus grands médecins du palais, lui et Seddy.
— Qu’avez-vous à répliquer ? fit Djéhouty
en se tournant vers Neb-Amon.
— Que j’avais prévu la réaction de ces
deux femmes à qui on devrait supprimer le droit d’exercer leur travail pour
avoir d’une part, refusé de m’aider lors de l’accouchement de Méryet et, d’autre
part, fait un faux témoignage devant le tribunal de cette grande instance.
— Ce n’est pas un faux témoignage !
s’offusqua hargneusement l’une des femmes en agitant les bras comme si elle
voulait battre l’espace de son gros corps alourdi de graisse.
— Peux-tu prouver que ça n’en est pas un ?
répliqua le juge.
Neb-Amon fut plus rapide.
— Je peux prouver que c’en est un.
Il prit le temps d’observer les témoins, les
jurés, le procureur, l’avocat de l’accusée et, enfin, se retourna
tranquillement vers le juge.
— J’ai demandé l’accord du plaignant,
Hapouseneb ici présent, pour disséquer le corps de la morte.
Un murmure s’éleva dans la salle. Mekyet et
Seddy devinrent blancs de rage. Nekmin se leva.
— Une dissection n’est permise qu’avec l’accord
du tribunal. Or, celle-ci n’avait pas été donnée, il me semble.
— L’auriez-vous donc refusée ? jeta
Neb-Amon.
Personne n’osa répondre. Un refus aurait
certes paru suspect.
— Je considère donc, reprit Neb-Amon, que
ces deux femmes ont fait un faux témoignage et que Méryet est morte d’absorption
lente de poison.
C’est à ce moment-là que, de loin, il croisa
le doux regard de Séchât. Elle semblait l’approuver, l’admirer, le motiver à
poursuivre dans sa tranquille assurance.
Satisfait de la tournure que prenait l’audience,
le procureur se leva.
— Qu’on lise le premier rapport de l’instruction.
Néhésy s’approcha du juge et de ses deux assistants
dont l’un était Pouyemrê qu’il connaissait pour être un vieil ami, un de ses
vieux camarades d’études [9] .
— Je vais en donner moi-même connaissance
à l’assemblée.
Le texte qu’il lut accusait Amenhotep, car il
relatait les disputes fréquentes qu’elle avait eues avec Méryet.
Le témoin cité fut le nain du temple, Memphès,
qui se fit un plaisir de rapporter l’une des scènes violentes ayant un jour
opposé les deux jeunes femmes, couchées à même le dallage du sanctuaire d’Hathor
et s’empoignant par les cheveux, les épaules ou les pieds.
Amenhotep fut appelée. Elle vint devant le
juge.
— C’est vrai, fit-elle d’une voix qui ne
tremblait pas. Ma jalousie était excessive. Je le reconnais. Mais, je n’ai
jamais donné de poison à Méryet.
— Les jurés en décideront, laissa tomber
le procureur.
— C’est lui, fit la jeune femme en
pointant son index sur le nain Memphès. C’est lui qui est le principal meneur
de cette odieuse machination.
— Quelle machination ? interrogea le
juge.
— Il a voulu semer le trouble dans l’esprit
de Méryet et dans le mien pour mieux occulter les agissements qu’il préparait
avec ses autres comparses.
— Citez-nous des noms !
— Je l’ai souvent vu avec Antef. Ils
tiennent des discussions interminables dans les coins les plus reculés
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