L'Ombre du Prince
remontaient presque sur les épaules. Il avait un long pagne
rouge retenu à la ceinture par une large boucle d’ivoire. Sa taille était celle
d’un géant et le petit Dydou, qui commençait à s’émoustiller à l’idée de
bientôt guerroyer, leva la tête à s’en décrocher le cou pour le regarder lorsqu’il
vint se placer à son côté.
— Les chars sont en place, dit-il. Les
chevaux sont prêts et mes archers ont le bout des doigts qui les démangent.
Tirer sur les sarcelles et les pigeons ne les intéresse plus.
Khety se mit à rire, suivi aussitôt par Dydou
et Thoutmosis. Mais, leur hilarité fut aussitôt coupée par la voix tranchante
de Djéhouty.
— Toutefois, Majesté, dit-il en se
tournant vers la reine, j’émets une grande réserve.
— Laquelle ? cria presque Amenphis,
rendu agressif à l’idée d’abandonner l’idée d’un départ aussi prometteur.
— Certes, la Nubie s’agite, mais elle
reste plus pacifique que les pays du Nord, et si j’approuve l’idée d’une
expédition, je demande à ce qu’elle demeure une simple approche, non une
guerre.
Soulagé, Amenphis approuva.
— À la jonction de Ouaouat et de Koush,
nous avons bâti un sanctuaire qui nous met à l’abri de tout danger éventuel,
jeta Thoutmosis.
— Ce n’est pas suffisant, fit Djéhouty
amusé par la remarque naïve du jeune homme. Surtout si nous voulons descendre
plus bas.
— Pensez-vous à la troisième cataracte ?
fit Menkeper en se levant. Nous n’y avons rien bâti. Je propose de descendre
jusqu’à Koumneh ou même Soleb s’il le faut et d’y étudier un projet de
construction. Nous pourrions y élever un obélisque !
Le jeune architecte rehaussa sa petite
stature. Ses épaules carrées avaient repris de la prestance depuis que son
épouse, étrangement accidentée, avait été vraisemblablement tirée de la mort
grâce au talent du brillant médecin de Sa Majesté.
Menkeper redressait son buste et regardait l’assemblée
d’un air assez suffisant. On le disait violent et jaloux. Ses compétences en
architecture ne valaient certes pas celles de Senenmout, mais Hatchepsout ne s’en
souciait guère, c’était l’affaire de Thoutmosis. Si Menkeper voulait bâtir des
temples sur les terres nubiennes, cela n’était plus son affaire, dès l’instant
qu’il ne touchait pas à l’architecture du pays.
— Tes armées, mon neveu, fit Hatchepsout
sans plus s’occuper de l’architecte, feront donc leurs premières expériences.
— Je descendrai jusqu’à la boucle de la
troisième cataracte, fit Thoutmosis bouillonnant de joie. M’y aideras-tu, Djéhouty,
toi qui connais mieux que personne tout le sud de la Nubie ?
Djéhouty effleura de son regard gris
métallique les yeux de la reine. Il soutint quelques instants la pression
autoritaire qu’ils exerçaient sur les siens et, tranquillement, se tourna vers
Thoutmosis.
— Je suis votre serviteur, murmura-t-il
en inclinant légèrement le buste.
Comment Hatchepsout aurait-elle pu ne pas
frissonner en voyant l’un de ses fidèles se tourner volontairement vers le
jeune prince qui, satisfait de la tournure des événements, se fit affirmatif et
convaincant tout le reste de la séance ? Comme la reine l’avait prévu, on
ne parla que du départ de la prochaine expédition.
La pharaonne se garda bien d’amener le débat
sur la politique intérieure. Désormais, c’est un sujet qu’elle n’aborderait qu’en
l’absence de Thoutmosis, lorsque celui-ci serait en guerre aux portes de l’Égypte.
*
* *
Que faisait le vieil Antef à cette heure, aux
portes de la classe ? Il rapetissait tant son corps, plié par les
rhumatismes qui rongeaient ses os usés, qu’il ressemblait à une souche de
sycomore que les ans avaient cassée en deux.
Sans bruit, Séchât se dissimula derrière le
pylône qui conduisait à la terrasse de l’école. Antef avança prudemment la tête
dans l’encoignure de la porte restée ouverte, puis pénétra dans la classe.
Séchât attendit. Certes, ce matin-là, elle
avait de l’avance sur son horaire et Satiah n’était pas encore levée lorsque la
jeune femme avait quitté la maison.
Chaque matin, elle venait à pied de son domicile,
écartant le char – car la distance s’avérait trop courte – ou la
chaise à porteurs, trop pompeuse, comme le faisait son prédécesseur. Rien de
tel pour mettre Séchât en forme qu’une petite marche avant de commencer les
cours
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