L'Ombre du Prince
de sa classe.
Depuis deux ans qu’elle dirigeait l’école,
Séchât imposait peu à peu ses idées, inculquant aux élèves ses propres connaissances
et le savoir qu’elle avait appris de ses maîtres.
Y venaient les fils des dignitaires, ceux du
Grand Trésorier, du Chef des Armées, du Vizir du Palais, du Grand Capitaine de
la Charrerie Royale, du Grand Scribe des Artisans, de l’Intendant des Greniers
de Thèbes, et bien d’autres encore.
Y venaient aussi quelques filles : Baki,
une jeune noble qui fréquentait le sillage de Thoutmosis, deux princesses
syriennes élevées au harem et surtout sa propre fille Satiah que les études intéressaient
moins que la pêche, le tir à l’arc ou la conduite d’un char.
Bien sûr, dans sa classe, Séchât avait aussi
Thoutmosis et ses trois compagnons inséparables, Amennheb, Amtou et Néférouben.
Cette année-là était la dernière qu’il passait à l’École du Palais. Car le
jeune Thoutmosis devait partir très prochainement pour sa première campagne
expéditive en Nubie et ses trois compagnons suivraient bientôt l’école de
cavalerie et d’infanterie de Thèbes pour perfectionner leur art militaire.
À tout ce petit monde qui s’étageait de six à
quinze ans, s’ajoutait la présence de Méryet, la jeune danseuse du temple, que
Séchât avait éduquée en lui apprenant à lire et écrire sur les navires de l’expédition
du Pount. Mais à présent si Méryet désirait peaufiner sa culture, c’était pour
mieux plaire au Grand Prêtre d’Amon que la séduction de la jeune fille avait
emporté au-delà du ciel des dieux.
Dissimulée derrière son pylône, Séchât attendait
que le vieil Antef ressorte. Que pouvait-il bien faire dans sa classe ?
Venait-il dérober un document ? Espionner ? Elle le savait dangereux,
pernicieux, dissimulateur avec suffisamment d’hypocrisie pour tromper son
entourage. Il travaillait pour le jeune prince, ayant pris son parti dès sa
naissance contre Hatchepsout et le règne qu’elle assumait depuis presque quinze
ans.
N’avait-il pas fomenté, autrefois, plus d’une
traîtrise, plus d’une rébellion, dont certaines avaient frôlé la complicité d’actes
meurtriers avec deux notables de Thèbes, Mériptah et Ouser, que Séchât espérait
bien ne plus jamais revoir ?
Comment Séchât aurait-elle pu oublier les
odieux comportements de ces deux dignitaires qui, maintes fois, avaient tenté
de contrecarrer sa carrière, allant jusqu’à kidnapper sa fille qui n’avait que
quelques mois ?
Désormais, Séchât appréciait trop sa vie familiale –
elle la dégustait avec délice comme un fruit savoureux et sucré dont elle ne
pouvait plus se passer – surtout depuis que le petit Rekmirê poussait
comme un melon dans un vert potager.
Certes, Séchât n’était plus prête pour vivre les
dangers qui avaient sillonné les quinze dernières années de son existence. Ce
temps-là était loin, si loin qu’il ne lui en restait plus que de merveilleux et
pénibles souvenirs.
Enfin, elle vit Antef ressortir de sa classe.
Il avait un papyrus enroulé dans ses mains. La jeune femme s’inquiéta.
Devait-elle aller au-devant du vieil homme et demander qu’il lui montrât le
document ?
Elle réfléchit et pensa que ce n’était pas la
meilleure solution. Le vieux filou rétorquerait aussitôt qu’il avait ce papyrus
en entrant et s’offusquerait de l’accusation de la jeune femme. Un blâme même
pourrait se retourner contre elle.
Elle resta donc dissimulée derrière le pylône
jusqu’à ce qu’Antef eût disparu complètement. Puis, elle entra dans sa classe.
Surprise, elle y vit le petit Djéhouty, son
élève le plus jeune. Pour son entrée en classe, ses cheveux avaient été coupés
et l’on avait noué une ceinture sur ses hanches, cachant ainsi sa jeune
virilité.
Djéhouty était assis en scribe et jouait avec
un petit singe qu’il tenait en laisse comme un chien. Séchât s’approcha de lui.
— Djéhouty ! Que fais-tu ici ?
Qui t’a amené si tôt ?
— C’est ma nourrice, Grand Maître.
« Grand Maître ». Qu’un enfant l’appelât
ainsi la faisait toujours sourire.
L’enseignante se rappelait du premier jour où
Thoutmosis s’était planté devant elle et lui avait jeté avec arrogance :
— Comment faut-il vous appeler ?
— Comment appeliez-vous mon prédécesseur ?
avait rétorqué Séchât.
— Grand Maître.
— Alors appelez-moi ainsi.
Les petits
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