L'Ombre du Prince
il serait
accusé d’avoir dérobé le pectoral en accord avec Hapouseneb.
— Le mien, jeta-t-il d’une voix basse.
Hatchepsout crut rêver. Senenmout voulait bâtir
sa propre tombe avec les finances du temple ! Un monument funéraire aux
frais de l’État. Non ! C’était impossible. Pas Senen, son favori, son
conseiller, son amant. Pas Senen !
Elle ferma les yeux et s’entendit murmurer :
— Cela pouvait attendre, Senenmout. Nous
en reparlerons.
Puis, elle ouvrit les yeux et se tourna vers
son neveu.
— Ce collier est à toi, désormais.
Considère que c’est un cadeau de ton père, le pharaon Thoutmosis II.
Puis, elle tendit la crosse d’or au bout de
son bras.
— Que l’on commence cette séance. Elle n’a
que trop attendu.
On débattit des points à l’ordre du jour et il
n’y eut aucun heurt. Les partisans de Thoutmosis étaient suffisamment
satisfaits d’avoir jeté un double doute dans l’esprit d’Hatchepsout alors que,
seule, était prévue l’affaire du collier. Celle de la tombe de Senenmout était
une autre histoire. Un élément de poids qu’ils devaient ne pas perdre de vue.
Hatchepsout avait un peu pâli. Ses adversaires
l’avaient déstabilisée, semant des idées gangrenées dans son esprit. Mais, peu
à peu, elle se reprit et attaqua, sans attendre, le point essentiel qui lui
tenait à cœur.
— Il me paraît souhaitable, mon neveu,
que tu partes en Nubie. Tes troupes sont prêtes à ce qu’il me semble. Et
puisque tu as l’âge, désormais, de siéger à ces assemblées, tu as celui de
partir en mission étrangère à la tête de tes armées.
— Voulez-vous parler des régions au sud
de Ouadi Halfa ? s’interposa aussitôt Sennefer, le chancelier des déserts
de Nubie.
Il se leva et fit quelques pas devant la
reine.
— Les pays du Nord me semblent avoir trop
attendu. Il serait temps, Majesté, que l’on aille voir ce qui s’y passe.
— Les Nubiens bougent aussi, rétorqua
aussitôt Djéhouty.
— Et les armées nubiennes se sont
affaiblies depuis le début de votre règne, Majesté, insinua Khety, le
commandant qui formait les nouveaux bataillons de Thoutmosis.
Il se tourna vers Dydou, son capitaine d’armée :
— N’est-ce pas ton avis ?
Le petit homme à qui il parlait acquiesça.
Bien que de courte taille, Dydou, capitaine d’infanterie dont les armées
étaient basées près de la deuxième cataracte, dégageait une force peu commune.
Son visage carré avançait des traits saillants et anguleux.
Il se leva lui aussi et se plaça aux côtés de
Khety. Puis, il regarda Hatchepsout et, comme si ce problème ne la regardait
plus, il se planta droit devant Thoutmosis, se courba légèrement et demanda
plein de condescendance :
— Est-ce aussi votre avis, fils de feu
Thoutmosis ?
— À mon sens, jeta le jeune homme d’une
voix nette, il me semble devoir faire passer le Sud avant le Nord. Certes, les
peuples de la Mer s’agitent un peu, mais ils sont encore pacifiques et les
transactions commerciales que nous avons avec eux sont bonnes, alors que du
côté de Bouhen et plus bas encore, Ouadi Halfa, Soleb, Napata, les marchés
passés autrefois s’amoindrissent.
Étonnée, Hatchepsout observa longuement son
neveu et nota avec un malaise grandissant qu’il tenait un langage habile et
juste. Ses conseillers en furent aussi conscients et un sourire ambigu fleurit
aussitôt sur plusieurs lèvres.
— Nous pouvons mettre en place les
premiers bataillons, affirma Khety.
— Quand pourrions-nous partir ?
questionna Thoutmosis.
— Dès le mois de Mésoré, répondit Dydou,
impatient de réaliser enfin quelque chose d’autre que rester cantonné dans une
base immobile et mutilée.
Ce fut un déchaînement général et Hatchepsout
sentit aussitôt qu’elle avait eu raison d’orienter ce débat sur le départ d’une
éventuelle expédition étrangère. Son neveu prenait trop de poids et, désormais,
avait trop d’appuis pour qu’il s’occupât de politique intérieure.
Il fallait voir comment ces hommes – à l’exception
de ses fidèles – commençaient à se ranger du côté de Thoutmosis !
Dieu d’Amon ! Qu’ils étaient tous pressés de le voir placé sur le trône à
sa place !
Amenphis, Capitaine de la Charrerie Royale, se
leva. C’était un homme à la forte carrure, puissant, aux épaules et aux cuisses
fortes et musclées.
Des bracelets en cuivre et en argent entouraient
ses avant-bras et
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