L'Ombre du Prince

ne disaient rien, bien qu’ils restassent,
eux aussi, étonnés qu’une femme vînt leur faire la leçon tandis que Thoutmosis
et ses compagnons plus âgés s’agitaient, mal à l’aise.
    — Mais vous êtes une femme ! avait
jeté Amennheb.
    — Ignores-tu, Amennheb, que j’ai été
Grande Scribe et Intendante des Artisans ?
    — Non, dans ma famille on parlait de
vous.
    — Alors, ne crois-tu pas que si je
pouvais assumer les tâches ingrates d’un Grand Intendant, je suis capable d’assumer
celles d’un Grand Maître ?
    Amennheb avait hoché la tête, mais les doutes
qui rongeaient encore son esprit furent repris aussitôt par l’insolence de son
compagnon Amtou :
    — Jamais une femme n’avait enseigné jusqu’alors.
    — Jamais une femme n’avait été Grand Intendant,
avait-elle jeté sèchement.
    Prenant la relève, Thoutmosis avait susurré :
    — Que nous apprendrez-vous ?
    — Ce dont un jour tu auras besoin pour monter
sur le trône. Sans culture et sans savoir, prince, tu ne seras rien.
    Ciel ! Qu’avait-elle dit là ! Qu’Hatchepsout
l’eût entendue à cet instant et son rôle d’enseignante eut été bien compromis.
Aussi ajouta-t-elle promptement :
    — Mais tu as beaucoup à apprendre, Thoutmosis,
avant d’atteindre ce jour-là.
    Ces deux phrases avaient peut-être été
périlleuses pour Séchât, mais du moins lui avaient-elle assuré une large considération
de la part du jeune prince qui, de ce jour, avait daigné respecter son nouveau
professeur.
    Et comme Thoutmosis n’était pas un être inintelligent,
il sut imposer à ses compagnons un comportement déférent envers leur nouveau
Grand Maître.
    — Pourquoi es-tu venu avec ton singe ?
s’enquit Séchât auprès du petit Djéhouty. Tu sais bien que c’est interdit d’amener
un animal.
    — Je ne voulais pas être seul en vous
attendant, rétorqua le petit.
    — Qui t’a obligé à venir si tôt ?
    L’enfant se tortilla. Puis, il sortit l’une de
ses jambes repliées sous son corps et l’allongea malhabilement.
    — Allons, qui t’a obligé à venir si tôt ?
    Nerveusement, l’enfant fit une grimace avec sa
bouche, ouvrant et fermant ses lèvres lippues qui soulignaient ses origines
nubiennes.
    — Donne-moi ton singe, nous allons l’attacher
à l’extérieur.
    — Non, cria l’enfant, en serrant la
laisse qu’il tenait fermement en mains.
    — Alors, si tu veux rester avec lui
durant toute la leçon, dis-moi qui t’a dit de venir si tôt.
    Pris au piège, l’enfant avoua.
    — C’est Antef.
    — Pourquoi ?
    À nouveau, l’enfant se tortilla et Séchât
attrapa la corde du singe.
    — Parce qu’il voulait savoir où vous
rangiez les papyrus.
    — Tu l’as vu. Qu’a-t-il pris ?
    Cette fois, le garçonnet tenait ses lèvres
serrées.
    — Allons, fit Séchât. Donne-moi ce singe.
Je vais l’attacher dehors et tant pis si on te le vole.
    — Il a pris un papyrus dans cette
case-là.
    Et, emmenant son singe derrière lui, il courut
vers le fond de la salle où, derrière la grande statue d’albâtre du dieu Thot,
les casiers de rangement étaient tous alignés les uns à côté des autres.
    Le compartiment, creusé dans le marbre du mur
et fermé par une targette en bronze doré, enfermait les documents relatifs aux
cours d’enseignement religieux.
    — C’est bien, fit-elle à Djéhouty,
retourne t’asseoir et garde ton singe durant tout le cours.
    Puis, elle s’absorba aussitôt dans la
recherche du document qui manquait. Les prières et les oracles aux dieux Thot,
Anubis et Horus étaient tous là. Ceux consacrés aux déesses Hathor, Isis et
Mout n’avaient pas été pris.
    Pas un seul document relatif aux cérémonies
religieuses, pas un seul papyrus concernant les traditions ancestrales et
sacrées, le déroulement des fêtes d’Opêt ou d’Hapy ne manquait. Mais, soudain,
Séchât eut un vertige. Le petit plan des nécropoles du temple d’Amon qu’elle avait
dessiné avait disparu.
     
    *
    * *
     
    Peu à peu, la classe s’emplissait. Après avoir
salué la grande statue de Thot, petits et grands allaient s’asseoir en scribe
dans un parfait demi-cercle au fur et à mesure de leur arrivée.
    Thoutmosis entra suivi de ses trois compagnons.
Ils s’installèrent en bout de file.
    Baki, fille de Pouyemrê, le Grand Trésorier d’Égypte,
apparut dans l’encadrement de la grande porte qui restait toujours ouverte.
Elle était accompagnée des deux jeunes