L'Ombre du Prince
privé dans ses appartements. Lorsqu’il entra, il fut surpris de
voir Mérytrê assise aux pieds de sa mère.
— Entre ! Thoutmosis. Je désire que
nous bavardions en toute intelligence et en toute sagesse.
Le prince s’inclina devant sa tante et regarda
Mérytrê qui, d’un œil énamouré, l’observait.
— La mère de ton père n’est plus. Une
étape de ta vie se termine, une autre commence. Si tu n’as pas eu à tracer la
première, à présent tu dois dessiner les contours de la deuxième.
— Je le sais, ma tante.
— Néférourê, la première de mes filles,
celle que tu devais épouser est morte en bas âge. Il reste Mérytrê, ma fille
cadette que tu vas épouser dès ton retour de Nubie.
Le prince s’inclina à nouveau devant Hatchepsout.
— Cela aussi, je le sais, ma tante.
La pharaonne se leva et fit quelques pas, puis
vint reprendre sa place. Dieu ! Mérytrê était loin d’avoir la prestance de
sa sœur décédée et la grâce de Satiah.
— Tu sais, bien sûr, que c’est par
Mérytrê que tes enfants obtiendront le sang du pharaon.
— Et que c’est par elle qu’un jour je
serai pharaon moi-même.
— Je règne encore, Thoutmosis, fit la
reine d’un ton sec.
Le jeune homme ne répliqua rien, jugeant préférable
de ne pas contrarier sa tante dès le début de l’entretien.
— N’oublie pas que si nous assistons côte
à côte aux diverses assemblées, je n’en reste pas moins la pharaonne des Deux Égyptes.
Il faudrait que je meure ou que j’abdique pour te laisser la place.
Thoutmosis pinça les lèvres et changea de
sujet.
— Mérytrê, fit-il en s’adressant à la
princesse, j’espère que tu me donneras beaucoup d’enfants.
Hatchepsout eut un geste agacé.
— Moi aussi, je l’espère. Mais, je
souhaite également qu’elle tienne une place de reine authentique à ton côté.
Voilà pourquoi je t’ai fait venir.
— Quelle promesse voulez-vous de moi, ma
tante ?
— Celle que la Grande Épouse Royale, ma
fille Mérytrê, soit une conseillère pour toi, une amie, une co-régente le jour
où je ne serai plus.
Il eut un air surpris et releva le sourcil,
signe chez lui d’un intense étonnement.
— Le veut-elle vraiment ?
La princesse rougit, baissa les yeux sous le
regard un peu dur de Thoutmosis et jeta dans un souffle :
— Je le désire, bien sûr.
— Je croyais que les affaires de l’État t’ennuyaient
et que tu préférais tes occupations quotidiennes avec tout le prestige auquel
tu as droit, rétorqua le jeune homme.
— Euh ! Non, pourquoi ?
Hatchepsout coupa d’une voix toujours aussi
sèche :
— Mérytrê fera, bien entendu, comme bon
lui semble. Mais il serait fâcheux qu’une autre femme s’occupe des affaires du
royaume. Plus tard, tu devras prendre une Seconde Épouse…
— Pourquoi plus tard ?
Hatchepsout hésita, mais le prince reprit :
— C’est un point sur lequel j’ai déjà
réfléchi.
— Et bien entendu, tu peux me citer un
nom.
— C’est la fille de la Grande Séchât,
Satiah, fille aussi de Menkh, le Capitaine de la Charrerie Royale, mort à la
bataille du Mitanni et lui-même fils du Grand Inéni, architecte de deux
pharaons, feu mon père et feu mon grand-père.
— C’est exact. C’est une fille qui génère
le sang noble que doit requérir une Seconde Épouse.
Elle se tourna vers Mérytrê.
— En as-tu décidé ainsi ?
— Dois-je vraiment en décider, mère ?
Hatchepsout eut un sourire équivoque.
— Pas vraiment. Mais tu peux prononcer
devant moi ton désaccord.
— Il n’y a pas désaccord.
Surprise du ton décidé de sa fille, la reine l’observa
quelque temps. Le rouge avait disparu de ses joues, et elle remuait
imperceptiblement les doigts de ses mains, triturant une lourde bague en
turquoise qui obstruait tout son annulaire.
— Satiah sera toujours mon inférieure,
mère, que mon époux le veuille ou non. Alors, dans ce cas, puisque je m’entends
plutôt bien avec elle, pourquoi en choisir une autre ?
Thoutmosis s’approcha de Mérytrê et l’embrassa
légèrement, là où la joue rencontrait la commissure de ses lèvres.
— Je te remercie pour cette bonne
volonté. Cela compliquera moins nos relations intimes.
*
* *
Quand Neb-Amon sortit de sa maison, un
attroupement bouchait la voie qui menait au port. Il mit sa main en visière et
vit que la foule remontait jusqu’au palais.
Il contourna l’annexe qui constituait
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