L'Ombre du Prince
côté opposé.
Mais, à peine avait-il jeté ces mots qu’un
autre mastodonte arrivait à pas lourds, suivi de deux bébés hippopotames.
— La famille entière ! Il ne
manquait plus que cela, soupira Séchât d’un air las. À cette allure, quand
serons-nous à Bouhen ?
— Maman, je n’ai jamais vu d’hippopotame !
s’écria Rekmirê ravi de cette aubaine.
— Eh bien, le destin fait que tu peux
admirer toute la famille. Tiens, regarde le père, il doit être en colère parce
que l’eau ne recouvre pas son corps.
— Oh ! Maman, il ouvre sa gueule.
Et Rekmirê parut séduit devant cette masse de
chair informe et rosâtre où s’enfouissaient graisse et mâchoire.
— J’ai une idée, fit Djenani. Il faudrait
condamner un animal. Le jeter en pâture au-devant de ces monstres qui ne sont
qu’herbivores et qui, dans une indifférence totale, vont l’ignorer. En revanche
les crocodiles vont sentir la viande et vont s’approcher des hippopotames. Les
bébés vont prendre peur et, pour éviter les sauriens, la petite famille risque
de s’écarter de nos embarcations.
L’idée était judicieuse et bien qu’il en
coûtât à Séchât et aux enfants de condamner ainsi des animaux, elle donna l’ordre
de tuer deux énormes oies pour les balancer en pâture aux hippopotames.
Comme l’avait prévu Djenani, les énormes
pachydermes qui pataugeaient dans l’eau ne furent pas attirés par les grasses
bêtes qu’on jetait devant eux et ce furent les deux crocodiles, ahuris par une
telle aubaine, qui se précipitèrent sur les oies.
Effrayés par le brusque assaut des sauriens,
les bébés hippopotames se pressèrent contre le ventre de leur mère. Dans un
grognement qui ébranla les embarcations, le gros mâle se mit en colère. Il rua
et cogna la proue du bateau. L’embarcation chavira et les passagers se retrouvèrent
renversés. Il fallut la force et la maîtrise des deux hommes pour la redresser
sans dommages.
Les bébés dans le giron de la femelle continuaient
à s’affoler, mais le père qui ne craignait pas les crocodiles semblait plus
enragé à l’idée qu’on perturbe sa petite famille plutôt que d’éloigner ses
rejetons de l’incident.
Les grasses oies étaient déjà englouties
depuis longtemps quand les crocodiles reprirent leur place sur le bas-côté.
Fallait-il sacrifier d’autres animaux ? À ce rythme-là, les cages emplies
de volailles risquaient fort de se décimer rapidement.
Une autre secousse leur donna la réponse. L’hippopotame
déstabilisa tant le bateau qu’il faillit se retourner. Cachou, la moins brave,
se mit à pleurer et Rekmirê, cette fois, n’admirait plus de ses grands yeux
étonnés la masse de l’animal monstrueux, mais se demandait comment ce gros
animal pouvait, à présent, les laisser passer.
Satiah et Maâthor restaient serrées l’une
contre l’autre, saisies par la peur, bloquées dans l’inconfort de la situation.
Pendant que Djenani redressait l’embarcation,
Kaméni se fit apporter deux autres oies qu’il jeta de nouveau aux sauriens. Les
crocodiles restaient immobiles, leurs petits yeux noirs enfouis dans leurs
écailles verdâtres. Ils attrapèrent les volatiles et les engloutirent sans
façon, remuant avec fracas le peu d’eau qui encerclait les hippopotames.
Enfin, le mâle consentit à s’écarter du bateau
mais, dans un dernier mouvement de rage, balança l’embarcation si fort que la
proue piqua de l’avant et que l’ensemble chavira sur le côté.
Séchât cria en voyant que Rekmirê s’apprêtait
à tomber. La main puissante de Djenani le rattrapa suffisamment à temps et l’enfant
vint heurter violemment le fond du bateau.
Satiah et Maâthor s’accrochèrent au bastingage
et y restèrent solidement fixées le temps que l’embarcation se redresse. Cachou
avait disparu.
— Accroche-toi là, fit Séchât à son fils
et surtout ne bouge pas.
Elle vit que les deux hommes s’acharnaient à
relever le bateau et partit à la recherche de Cachou. Elle tituba plusieurs
fois, se redressa et, soudain, aperçut la jeune fille transie de peur, cachée
sous une bâche de papyrus qui servait de protection pour apporter de l’ombre quand
le soleil se faisait trop intense.
— J’ai cru que tu étais passée par-dessus
bord, dit-elle en soupirant de soulagement.
Cachou ne répondit pas tant elle était
apeurée. Elle ne sentait plus sa langue et la salive refusait de couler dans
son gosier
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