L'Ombre du Prince
les communs
où logeait le personnel et, près de la descente qui menait aux écuries,
quelques hommes discutaient à voix forte.
— Le prince repart pour la Nubie, disait
l’un, son capitaine l’accompagne et une escorte d’archers le précède.
— C’est une bien petite équipe. L’armée
entière est déjà sur place, le prince n’est venu que pour le temps des obsèques
de son aïeule.
Neb-Amon laissa les hommes discuter. Il avait
trop perdu de temps depuis que les funérailles étaient passées. Mais l’hôpital
réclamait sans cesse sa présence et s’il ne partait pas dès à présent, une
nouvelle urgence le retiendrait encore.
Nedjar l’attendait près de l’écurie. Le char
et les chevaux étaient prêts. C’était un attelage simple, mais de parfaite
tenue. Assez confortable pour un grand voyage, il offrait une plate-forme large
et spacieuse qui permettait à deux voyageurs d’être à l’aise.
Excellent conducteur, Nedjar était un colosse
qui savait manier les chevaux. Grand et fort, les épaules et les cuisses
musclées, le torse bombé, les hanches étroites, il conduisait l’attelage avec
maîtrise, pouvant tenir les rênes des jours entiers sans fatigue, dominant ses
deux petits chevaux d’Asie, rapides, légers, nerveux, supportant la difficulté
d’un parcours. Nedjar était infatigable, endurant, résistant.
Neb-Amon gagna les écuries. Nedjar l’attendait,
les rênes en mains. Il monta près de lui et, dans un claquement de fouet, guida
l’attelage vers la sortie.
Le bouchon qui s’était fait dans les rues
avoisinantes s’intensifia. Des gardes barraient la route.
— Où allez-vous ? dit l’un d’eux d’un
ton péremptoire en s’adressant à Nedjar.
— Je suis Neb-Amon, répondit le médecin
et je prends la route de Nubie.
— La route de Nubie est fermée jusqu’à la
tombée du jour. Il faut attendre demain ou voyager sur le fleuve.
— Est-ce le départ du prince Thoutmosis
qui occasionne cet étranglement ?
— Le prince n’est pas encore passé. Mais,
cela ne devrait pas tarder. Si tu désires voir défiler la troupe qui l’accompagne,
je te conseille de laisser là ton char et d’aller plus loin à pied.
L’homme d’armes était casqué, le torse
cuirassé et portait un pagne court qui laissait voir des jambes brunes, presque
noires, bien que son faciès soit plutôt assez rouge et congestionné.
Neb-Amon savait qu’il était difficile de
discuter avec les policiers chargés de la garde princière. Javelot en main et
poignard à la ceinture, ils abusaient parfois du pouvoir qui leur était
concédé.
Le médecin tenta de le soudoyer. Mais il
fallait d’abord l’exciter un peu et bien qu’il n’aimât guère ce procédé, il
décida de le mener à terme. Cet homme était à première vue un hypertendu. Le
blanc de ses yeux était rouge et les veines de son cou saillantes.
— Laisse-moi passer, dit-il au policier.
Je dois vraiment partir dès à présent.
— Alors, prends ton bateau et suis le
Nil.
— C’est impossible et tu le sais. Le
fleuve est asséché et il me faudrait au moins deux semaines de voyage alors que
par la route, quelques jours me suffisent.
— Alors, attends ce soir.
— Pourquoi ce soir ? Tu dis toi-même
que le prince Thoutmosis n’est pas encore sorti de son palais.
L’homme commençait à s’énerver. C’était bon
signe.
— Je n’ai pas à discuter avec toi,
rétorqua-t-il vertement. Je ne dois laisser passer personne. C’est tout. Ou
bien tu circules à pied ou bien tu repars chez toi avec ton char. M’as-tu
compris ?
— Ne t’énerve pas ainsi. Regarde, les
veines de ton cou battent de façon anormale. Fais-tu de la tension ?
Surpris, le policier leva son javelot, mais l’abaissa
aussi vite.
— N’as-tu pas des palpitations au petit
matin ? Tiens, laisse-moi regarder le fond de ton œil.
— Tu es médecin ?
— Bien sûr, je suis le médecin chef de l’hôpital
du palais.
Le policier hésita et reprit d’un ton
incertain :
— Pas de passe-droit, médecin. C’est
interdit.
— Pour l’instant, reprit Neb-Amon, je ne
réclame aucun passe-droit, je constate seulement que tu risques une congestion
cérébrale si tu ne soignes pas rapidement ta tension.
Cette fois, le policier parut déstabilisé.
Pendant qu’il réfléchissait, Neb-Amon saisit sa trousse médicale qui ne le
quittait jamais et l’ouvrit sous les yeux étonnés de son
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